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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13416

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13416


Tribunal administratif Numéro 13416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 12 décembre 2001 Recours formé par … MEHOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13416 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MEHOVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yo

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Tribunal administratif Numéro 13416 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 12 décembre 2001 Recours formé par … MEHOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13416 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … MEHOVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 5 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du même ministre du 3 avril 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.

Le 2 octobre 1998, Monsieur … MEHOVIC introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur MEHOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 2 juin 1999, Monsieur MEHOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

1 Par décision du 5 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur MEHOVIC de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, étant donné que l’insoumission ne constituerait pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié et qu’en plus le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement, ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Par courrier de son mandataire du 16 mars 2001, Monsieur MEHOVIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 5 janvier 2001.

Le 7 mai 2001, Monsieur MEHOVIC a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles de refus prévisées des 5 janvier et 3 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, Monsieur MEHOVIC fait exposer qu’il est de nationalité yougoslave et de religion musulmane et qu’il a quitté sa région natale au courant du mois de septembre 1998 au motif notamment qu’il n’aurait pas voulu accepter son incorporation au sein des forces militaires yougoslaves en qualité de réserviste, ceci tant par crainte d’être envoyé au front au Kosovo que pour des raisons politiques et de conscience valables. Il estime que ce serait à tort que le ministre a refusé de faire droit à sa demande d’asile, étant donné qu’en cas de retour dans son pays il risquerait à l’heure actuelle d’être traduit devant une juridiction militaire et d’y encourir une peine d’emprisonnement d’une portée disproportionnée pour le simple fait d’avoir refusé d’être enrôlé dans les forces militaires réservistes. Pour justifier cette crainte, le demandeur fait valoir plus particulièrement que la loi d’amnistie récemment ratifiée par le président yougoslave ne permettrait pas de lui garantir qu’il ne soit pas poursuivi, étant donné que l’insoumission serait une infraction continue et que, pour tomber dans le champ d’application de ladite loi, il aurait fallu que son infraction ait cessée avant le 7 octobre 2000, ce qui n’aurait pas été le cas, vu qu’il ne serait pas rentré en Yougoslavie avant cette date. Il fait encore état du cas d’un sous-officier de l’armée fédérale qui aurait déserté de ladite armée et qui aurait été arrêté et emprisonné.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 2 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur MEHOVIC ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. En l’espèce, étant donné que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur MEHOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur MEHOVIC n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continu et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Concernant l’allégation relative à une non application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence à un prétendu cas de non-application de la loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au-delà des termes mêmes de la loi d’amnistie, ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

3 Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13416
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13416 ?

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