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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13414

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13414


Tribunal administratif N° 13414 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par les époux … DURAKOVIC et … … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13414 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à Bera...

Tribunal administratif N° 13414 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 7 mai 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par les époux … DURAKOVIC et … … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13414 et déposée au greffe du tribunal administratif le 7 mai 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … DURAKOVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née le … à Berane, agissant en leur nom personnel, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 19 octobre 2000, notifiée le 28 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2001 par Maître Louis TINTI au nom des consorts DURAKOVIC-… ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Louis TINTI ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.

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En date du 17 mai 1999, Monsieur … DURAKOVIC et son épouse, Madame … …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole 1 relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux DURAKOVIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 21 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 19 octobre 2000, notifiée le 28 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux DURAKOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée au motif que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par courrier de leur mandataire datant du 28 mars 2001, les époux DURAKOVIC-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle du 19 octobre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 3 avril 2001, ils ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions du ministre de la Justice des 19 octobre 2000 et 3 avril 2001 par requête déposée en date du 7 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs concluent à la réformation des décisions querellées « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de leur recours, ils font exposer qu’ils sont originaires de la ville de Berane au Monténégro et de confession musulmane et que leur départ de leur pays d’origine aurait été motivé en partie par le fait que Monsieur DURAKOVIC n’aurait pas voulu combattre au sein des forces militaires yougoslaves, étant entendu qu’il aurait été sur le point de recevoir une convocation pour intégrer lesdites forces militaires et que cette situation d’insoumission aurait été dictée par des raisons politiques et de conscience valables. Les demandeurs font valoir qu'un retour dans leur pays d’origine exposerait Monsieur DURAKOVIC à une arrestation et à un emprisonnement, que la peine de prison qu’il serait susceptible d’encourir risquerait d’être d’une durée excessive et manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction et que la loi d’amnistie récemment votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à écarter tout risque de condamnation dans son chef, étant donné que l’insoumission serait une infraction continue et que, pour tomber dans le champ d’application de ladite loi, il aurait fallu que son infraction ait cessé avant le 7 octobre 2000, hypothèse non vérifiée dans son cas, étant donné qu’il ne serait pas rentré en Yougoslavie avant cette date. Il fait encore état du cas d’un 2 sous-officier de l’armée fédérale qui aurait déserté de ladite armée et qui aurait été arrêté et emprisonné.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts DURAKOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux DURAKOVIC-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir l’insoumission de Monsieur DURAKOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur DURAKOVIC risque encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

3 Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur DURAKOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Concernant l’allégation relative à une non application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence à un prétendu cas de non-application de la loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 12 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

4 s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13414
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13414 ?

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