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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13354

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13354


Tribunal administratif N° 13354 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … REBRONJA-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13354 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … REBRONJA, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougo...

Tribunal administratif N° 13354 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … REBRONJA-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13354 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … REBRONJA, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bijelo Polje, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 janvier 2001, notifiée le 20 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 19 juillet 1999, M. … REBRONJA et son épouse, Mme … …, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. et Mme REBRONJA-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 22 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 11 janvier 2001, notifiée le 20 février 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous êtes arrivé avec votre famille au Luxembourg en date du 19 juillet 1999 après avoir traversé la Bosnie, la Croatie, la Slovénie et l’Italie.

Vous ne pouvez pas donner d’autres indications en ce qui concerne les pays traversés. Vos demandes en obtention du statut de réfugié datent du 19 juillet 1999.

Monsieur, vous exposez qu’en février et en avril 1999, vous auriez reçu deux appels pour effectuer la réserve auxquels vous n’auriez pas donné suite. Vous pensez être traduit devant le tribunal militaire pour trahison. Vous vous référez à la situation générale dans votre pays que vous qualifiez de mauvaise. Enfin, vous relevez avoir été membre du SDA sans pour autant avoir revêtu une fonction particulière au sein dudit parti. Vous vous sentez persécuté du fait que vous ne meniez pas de vie normale dans votre pays.

En ce qui vous concerne, Madame, vous dites avoir quitté votre pays d’origine en raison du fait que votre mari serait recherché par la police militaire. Vous souhaiteriez pouvoir travailler au Luxembourg et mener une vie normale. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission est insuffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Quant à vous, Madame, vous n’invoquez que des motifs d’ordre personnel sans citer un quelconque fait de nature à fonder une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la 2 communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 20 mars 2001, les consorts REBRONJA-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 janvier 2001.

Par décision du 29 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 30 avril 2001, les consorts REBRONJA-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 11 janvier et 29 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs concluent à la réformation des décisions querellées « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de cette demande, ils font exposer qu’ils seraient originaires de la ville de Bijelo Polje située au Monténégro et de confession musulmane, qu’ils auraient quitté leur région natale et leur pays d’origine au cours du mois de juin 1999, que leur fuite serait motivée par le fait que M. REBRONJA aurait été appelé par l’armée fédérale yougoslave pour la réserve militaire, qu’il aurait refusé d’y donner suite pour éviter de devoir participer à la guerre du Kosovo et que partant il risquerait d’être traduit devant un tribunal militaire serbe et d’être condamné à une peine de prison disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction et que la loi d’amnistie récemment votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation, étant donné que l’insoumission serait une infraction continue et que, pour tomber dans le champ d’application de ladite loi, il aurait fallu que son infraction ait cessé avant le 7 octobre 2000, ce qui ne serait pas le cas au motif qu’il n’est pas rentré en Yougoslavie avant cette date. Ils font encore état du cas d’un sous-officier de l’armée fédérale qui aurait déserté de ladite armée et qui aurait été arrêté et emprisonné postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts REBRONJA-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux REBRONJA-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux REBRONJA-… lors de leurs auditions respectives en date du 22 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif de persécution dont les demandeurs font état à travers leur recours contentieux, à savoir l’insoumission de M. REBRONJA, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier, d’une part, qu’à l’heure actuelle, où les conflits armés ont cessé en République fédérale de Yougoslavie, M. REBRONJA risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, d’autre part, que des traitements discriminatoires, en raison de son 4 appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore, de troisième part, que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. REBRONJA n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Concernant l’allégation relative à une non-application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence à un prétendu cas de non-application de la loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13354
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13354 ?

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