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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13352

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13352


Tribunal administratif N° 13352 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ALIBASIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13352 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2001 par Maître Jean TONNAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Luc MAJERUS, avocat, tous

les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … ALIBASIC, né le … à ...

Tribunal administratif N° 13352 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ALIBASIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13352 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 avril 2001 par Maître Jean TONNAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Luc MAJERUS, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … ALIBASIC, né le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 novembre 2000, notifiée le 15 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 septembre 2001 au nom du demandeur;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Yvette NGONO YAH, en remplacement de Maître Jean TONNAR, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 23 juillet 1999, M. … ALIBASIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. ALIBASIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 27 juillet 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 novembre 2000, notifiée le 15 février 2001, le ministre de la Justice informa M. ALIBASIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays d’origine en date du 17 juillet 1999. Un passeur vous a conduit au Luxembourg où vous êtes arrivé en date du 23 juillet 1999 après avoir traversé la Bosnie, la Croatie, la Slovénie, l’Italie et la France.

Vous avez déposé une demande en obtention du statut de réfugié le même jour.

Vous exposez qu’en juin 1999 vous auriez reçu un appel pour effectuer le service militaire auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous auriez peur d’être sanctionné en raison de votre insoumission. Cette peur serait liée à vos convictions religieuses. Vous admettez enfin ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

2 Par lettre du 13 mars 2001, M. ALIBASIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 novembre 2000.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 30 avril 2001, M. ALIBASIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 24 novembre 2000 et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur expose être de religion musulmane et être originaire de la ville de Novi Pazar en Serbie, située à 30 kilomètres des frontières avec le Monténégro et le Kosovo.

Il fait en premier lieu état de ce qu’il aurait refusé de donner suite à différents appels pour rejoindre les rangs de l’armée yougoslave, qu’il serait recherché par la police militaire et qu’il risquerait d’être condamné à une peine de prison et d’être la victime de mauvais traitements par les Serbes. Il précise que son insoumission et sa fuite de son pays d’origine seraient motivés par un refus de participer à la guerre du Kosovo, menée contre ses coreligionnaires. Dans ce contexte, il fait encore état de ce que la loi d’amnistie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation et un risque de subir des discriminations.

En deuxième lieu, le demandeur expose que sa vie lui serait devenue impossible dans son pays d’origine, en raison de sa religion musulmane et du fait qu’il aurait été membre du parti politique « SDA », auquel il aurait adhéré le 26 septembre 1996. Il fait encore ajouter qu’il aurait été frappé et maltraité par la police serbe en raison de sa religion et de son adhérence audit parti.

En substance, il reproche au ministre de la Justice d’avoir fait une mauvaise application de la Convention de Genève et d’avoir méconnu la gravité des motifs de persécution qu’il a mis en avant pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. ALIBASIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. ALIBASIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. ALIBASIC lors de son audition en date du 27 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif de persécution dont le demandeur fait état, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

ALIBASIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

ALIBASIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements 4 prononcés sont encore exécutés effectivement. Cette conclusion n’est ébranlée ni par l’affirmation que la loi d’amnistie ne serait pas appliquée par les autorités au pouvoir en Yougoslavie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié), ni par l’affirmation du demandeur que ladite loi ne lui serait pas applicable ou appliquée, laquelle reste à l’état de simple allégation.

Ensuite, concernant les craintes de persécutions en raison de sa prétendue adhésion au parti politique « SDA », il convient de retenir que les allégations y afférentes - présentées pour la première fois dans son recours gracieux - ne sont pas crédibles, étant donné que, contrairement à ce que le demandeur semble soutenir dans son mémoire en réplique, il a, lors de sa première audition du 27 juillet 1999, formellement nié avoir été membre d’un parti politique. - En outre, si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il y a lieu de constater que le demandeur n’a fait état ni d’un rôle actif au sein dudit parti ni d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de sa prétendue appartenance politique.

La même conclusion s’impose au sujet des craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine, lesquelles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, 5 M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13352
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13352 ?

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