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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13344

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13344


Tribunal administratif N° 13344 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par M. … CEMAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13344 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2001 par Maître Jamila KHELILI, avocat à la Cour, assistée de Maître Nathalie SCHROEDER, avocat, le

s deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … CEMAN, né le … à Béran...

Tribunal administratif N° 13344 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 27 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par M. … CEMAN, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13344 et déposée au greffe du tribunal administratif le 27 avril 2001 par Maître Jamila KHELILI, avocat à la Cour, assistée de Maître Nathalie SCHROEDER, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … CEMAN, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 janvier 2001, notifiée le 21 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 29 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Gabrielle EYNARD, en remplacement de Maître Jamila KHELILI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 mai 1999, M. … CEMAN introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. CEMAN fut entendu en date du même jour respectivement par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, 1 sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 11 janvier 2001, notifiée le 21 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations qu’un passeur vous a conduit au Luxembourg où vous êtes arrivé le 21 mai 1999. Vous ne pouvez pas donner d’indications en ce qui concerne le trajet. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du jour de votre arrivée.

Vous exposez que vous auriez reçu un appel pour faire la réserve en avril 1999, mais que vous ne vous seriez pas présenté. Vous risqueriez une peine d’emprisonnement. Vous dites avoir quitté votre pays d’origine en raison de la guerre et de l’absence de perspectives. Vous accepteriez d’y retourner si vous ne risquiez pas d’être emprisonné. Vous auriez peur en raison du fait que vous êtes musulman sans pour autant donner d’autres explications. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

De plus, les raisons économiques que vous relevez ne sont pas de nature à fonder une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

2 Par lettre du 20 mars 2001, M. CEMAN introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 11 janvier 2001.

Par décision du 29 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 27 avril 2001, M. CEMAN a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 11 janvier et 29 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur reproche en substance au ministre de la Justice d’avoir méconnu la réalité et la gravité des persécutions qu’il risquerait de subir en cas de retour dans son pays d’origine « en raison de la guerre et de la situation politique tendue » et de son insoumission.

Il précise qu’il aurait refusé de donner suite à une convocation reçue au mois d’avril 1999 pour la réserve militaire et que, par conséquent, il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde. Il fait en outre ajouter qu’il serait susceptible « d’être enrôlé de force pour participer aux opérations militaires qui se déroulent actuellement dans la région ».

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. CEMAN et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. CEMAN.

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. CEMAN lors de son audition en date du 21 mai 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif que le demandeur fait valoir, à savoir celui fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

CEMAN risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

CEMAN n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Pour le surplus, les craintes de persécutions dont le demandeur fait état en raison de la situation générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

4 reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13344
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13344 ?

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