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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13330

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13330


Tribunal administratif N° 13330 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … TEMALJ-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13330 et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2001 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au ta

bleau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … TEMALJ, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslav...

Tribunal administratif N° 13330 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 24 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … TEMALJ-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13330 et déposée au greffe du tribunal administratif le 24 avril 2001 par Maître Jean-Paul WILTZIUS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … TEMALJ, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 janvier 2001, notifiée le 19 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 2 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François GENGLER, en remplacement de Maître Jean-Paul WILTZIUS, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En dates des 16 juin et 1er décembre 1999, respectivement M. … TEMALJ et son épouse, Mme … …, cette deuxième ayant été accompagnée et agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, 1 approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. et Mme TEMALJ-… furent entendus en dates des mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément le 18 juin et 6 décembre 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 3 janvier 2001, notifiée le 19 février 2001, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez quitté votre pays d’origine en raison du conflit armé. Vous auriez reçu un appel pour faire la réserve auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous précisez que vous auriez été provoqué voire menacé et frappé par des partisans de Milosevic. Votre peur des nationalistes serbes s’expliquerait par votre opposition au régime de Milosevic. Enfin, vous dites ne pas être membre d’un parti politique.

En ce qui vous concerne, Madame, vous exposez que vous auriez rejoint votre mari qui aurait refusé un appel à la réserve. Il serait recherché par la police militaire qui aurait perquisitionné chez vous. Vous auriez aussi été insultée et menacée. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Les autres motifs dont vous faites état (provocations, menaces, maltraitance), même à les supposer établis, ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève.

Madame, les faits que vous invoquez ne sont pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention. Ils traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité qu’une crainte de persécution. Un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution.

2 Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 15 mars 2001, les consorts TEMALJ-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 3 janvier 2001.

Par décision du 2 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 24 avril 2001, les consorts TEMALJ-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 3 janvier et 2 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation, formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir méconnu la réalité et la gravité des risques de persécutions qu’ils auraient subi ou seraient susceptibles de subir en cas de retour dans leur pays d’origine. Ainsi, ils font état de ce que M. TEMALJ aurait quitté son pays « en raison du conflit armé » et parce qu’il aurait refusé de donner suite à un appel pour rejoindre les rangs de l’armée yougoslave. Les demandeurs ajoutent qu’en raison de son insoumission, M. TEMALJ serait recherché par la police militaire, qui aurait perquisitionné leur domicile et insulté et menacé son épouse. Dans un deuxième ordre d’idées, ils exposent que M. TEMALJ aurait été victime de menaces et de brutalités par des « partisans de Milosevic ».

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts TEMALJ-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. et Mme TEMALJ-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. et Mme TEMALJ-… lors de leurs auditions respectives en dates des 18 juin et 6 décembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir l’état d’insoumission de M. TEMALJ, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

TEMALJ risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée 4 pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

TEMALJ n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les allégations relatives à des prétendues menaces et brutalités subies par M.

TEMALJ par des membres de la population serbe et, plus particulièrement, par des partisans du régime de M. MILOSEVIC et à des insultes et menaces de la police militaire à l’égard de Mme … suite à l’insoumission de son époux, constituent certainement, à les supposer vraies, des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs, étant entendu qu’il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours et que les demandeurs n’ont pas établi qu’ils ne peuvent pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-ci ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant.

Enfin, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

5 M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13330
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13330 ?

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