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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13310

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13310


Tribunal administratif N° 13310 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … AGOVIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13310 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre

des avocats à Luxembourg, au nom de M. … AGOVIC, né … à Orahovo (Monténégro/Yougoslavie), et de son épou...

Tribunal administratif N° 13310 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … AGOVIC-…, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13310 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … AGOVIC, né … à Orahovo (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro), agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 février 2001, notifiée le 21 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 13 septembre 2001 au nom des demandeurs;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date des 7 septembre et 11 novembre 1998, respectivement Mme … …, épouse de … AGOVIC, agissant tant en son nom personnel qu’en celui de ses enfants mineurs …, … et … et M. … AGOVIC introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, 1 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

M. et Mme AGOVIC-… furent entendus en date des mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément le 16 novembre 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 21 février 2001, notifiée le 21 mars suivant, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Madame, il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Bijelo Polje / Monténégro avec vos enfants le 31 août 1998 pour aller à Sarajevo où vous avez séjourné une nuit. Vous avez poursuivi votre route jusqu’à Kladusa / Bosnie et, avec l’aide d’un passeur, vous avez marché à travers les bois jusqu’en Croatie. De là, une voiture vous a emmenée en Slovénie et puis en Italie. Vous avez alors pris place dans une camionnette qui vous a conduit jusqu’au Luxembourg, via la France.

Vous, Monsieur, vous êtes parti de Bijelo Polje le 6 novembre 1998 pour aller en Bosnie, puis en Croatie. Un passeur vous a aidé à passer les frontières et vous avez continué votre route par la Slovénie et l’Autriche. De là, vous avez poursuivi votre route, via Allemagne, jusqu’au Luxembourg.

Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1985/1986 en Serbie et en Croatie et que vous avez été appelé à la réserve le 1er août 1998. Vous vous y seriez présenté et vous auriez fait cinq jours de réserve. Vous vous seriez ensuite enfui quand un officier vous aurait annoncé votre prochain départ pour le Kosovo. Vous auriez refusé de faire la guerre au Kosovo et de faire partie de l’armée serbe qui commettait des exactions contre les musulmans. Vous vous seriez caché chez votre père près de Berane où la police militaire ne vous aurait pas trouvé. Par contre, un Tribunal Militaire vous aurait condamné pour désertion à une peine de 2 ans et 4 mois d’emprisonnement. Vous auriez alors conseillé à votre famille de quitter le pays et vous les auriez rejoints deux mois plus tard. Vous exposez encore qu’en 1993, vous auriez déjà été condamné à une peine de 3 mois de prison pour détention d’armes.

Vous dites encore avoir été membre du parti politique SDA.

Madame, vous confirmez les dires de votre mari et vous ajoutez que vous avez été licenciée de votre emploi en 1992 et remplacée par une Serbe.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef de désertion ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte 2 justifiée d’être victime de persécutions au sens, de la Convention de Genève. De même, la désertion ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

De plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et a l’OSCE.

Les autres faits invoqués ne sont pas non plus de nature à rendre votre vie impossible dans votre pays d’origine.

Je constate donc que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 19 avril 2001, les consorts AGOVIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 21 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle critiquée. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs soulèvent en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que la décision querellée ne serait pas suffisamment motivée en fait et en droit.

Ledit moyen d’annulation, basé sur la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation de la décision ministérielle litigieuse, l’omission des obligations d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a pris entraînant uniquement que les délais impartis pour 3 l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle du 21 février 2001 que le ministre a énoncé une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait.

Les demandeurs concluent ensuite à la réformation de la décision querellée pour erreur d’appréciation de la réalité et de la gravité des persécutions qu’ils auraient subies dans leur pays d’origine en raison de leurs convictions religieuses et politiques. Dans ce contexte, ils exposent que M. AGOVIC aurait été condamné à une peine de prison de trois mois pour détention d’armes illicite, qu’il aurait en outre été condamné à une peine de prison de deux ans et quatre mois en raison de sa désertion de l’armée yougoslave, après avoir passé cinq jours à la réserve militaire, que sa désertion aurait été motivé par le fait qu’il aurait appris que son unité serait transférée au Kosovo et qu’il n’aurait pas voulu être associé à une guerre dirigé contre ses coreligionnaires, que la police militaire l’aurait recherché et qu’elle aurait menacé son épouse, Mme …, laquelle aurait d’ailleurs été licenciée en 1992 et son poste aurait été occupé par une Serbe. Enfin, ils ajoutent que M. AGOVIC aurait été membre du parti politique « SDA » et qu’en cas de retour dans son pays, il risquerait d’être « traité durement » de ce chef .

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts AGOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. et Mme AGOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. et Mme AGOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 16 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du 4 fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir la désertion de M. AGOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. MUSIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qui a été prononcée à son encontre en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité objective de son infraction ou que cette condamnation aurait été prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que ce jugement est encore susceptible d’être exécuté effectivement.

Concernant la situation générale des musulmans au Monténégro, il y a lieu de constater que s’il est vrai que leur situation générale a été et est toujours difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur région d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. Dans ce contexte, ni la prétendue discrimination professionnelle de Mme … qu’elle aurait subie en 1992, ni encore les menaces de la part de la police militaire qui recherchait son mari, lesquels constituent certainement, à les supposer vrais, des pratiques condamnables, mais, en l’espèce, ne dénotent pas une gravité telle qu’ils établissent, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs.

En ce qui concerne la prétendue condamnation du demandeur pour détention illégale d’armes à trois mois de prison, force est de constater que les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve que cette décision de condamnation a été prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

5 Enfin, en ce qui concerne ensuite l’adhérence de M. AGOVIC au parti politique « SDA », force est de constater que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait constituer l’expression d’une persécution vécue ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève et que M. AGOVIC n’a pas allégué, ni a fortiori établi, avoir joué un rôle actif au sein dudit parti ni avoir subi ou risquer de subir des discriminations rendant sa vie intolérable dans son pays d’origine de ce chef.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13310
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13310 ?

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