La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13285

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13285


Tribunal administratif N° 13285 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … JASOROVIC et son épouse Madame … …, et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13285 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, a

ssisté de Maître Sylvain L’HOTE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif N° 13285 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … JASOROVIC et son épouse Madame … …, et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13285 et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Jos STOFFEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Sylvain L’HOTE, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … JASAROVIC, né le … à Berane (Monténégro), et de son épouse, Madame … …, née le … à Berane (Monténégro), agissant en leur nom propre ainsi qu’en celui de leurs enfants … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 12 octobre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 12 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sylvain L’HOTE ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 3 juin 1999, Monsieur … JASAROVIC, et son épouse, Madame … …, agissant en leur nom propre ainsi qu’en celui de leurs enfants … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des 1 réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux JASAROVIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 3 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 12 octobre 2000, notifiée le 17 janvier 2000, le ministre de la Justice les informa de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit:

« Vous exposez, Monsieur, que vous auriez reçu un appel pour effectuer la réserve auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous auriez été menacé et insulté. Votre magasin aurait même été cambriolé. Vous admettez ne pas être membre d’un parti politique. En ce qui vous concerne, Madame, vous dites aussi n’appartenir à aucun parti politique. Vous précisez que votre famille aurait été menacée par téléphone et que votre magasin aurait été cambriolé.

Vous auriez également peur d’un éventuel emprisonnement de votre mari pour insoumission.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, le conflit armé est terminé et une situation de paix s’est établie dans votre pays d’origine. Il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Les autres faits que vous invoquez (menaces, insultes et cambriolage), même à les supposer établis, ne sont non plus de nature à constituer une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En ce qui vous concerne, Madame, vous n’invoquez pas non plus un quelconque fait constituant une persécution telle que visée par la prédite Convention.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

2 Par lettre du 16 février 2001, les époux JASAROVIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 octobre 2000.

Par décision du 12 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 13 avril 2001, les consorts JASAROVIC-… ont fait introduire un recours en réformation sinon en annulation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 octobre 2000 et 12 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.

Au fond, les demandeurs concluent à la réformation des décisions querellées « pour violation de la loi, pour défaut de motif, pour erreur manifeste d’appréciation des faits et pour violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité ».

A l’appui de leur recours, ils font exposer qu’ils sont originaires de Berane au Monténégro et de confession musulmane et qu’ils auraient quitté leur pays au motif que Monsieur JASAROVIC aurait été appelé à la réserve de l’armée fédérale yougoslave, mais qu’il n’aurait pas voulu « participer au conflit opposant les différentes communautés composant l’ex-Yougoslavie ». Ils font préciser que Monsieur JASAROVIC n’aurait pas voulu combattre et mener une guerre contre des populations de même confession et de même origine ethnique que lui.

Ils exposent encore qu’ils auraient été victimes de « menaces sur leur vie confinant au harcèlement notamment par téléphone, du fait de leur religion, et le magasin leur appartenant fit l’objet de nombreux pillages malgré leur présence ».

Ils soutiennent encore que malgré le fait que la guerre soit terminée, il ne leur serait pas encore possible de retourner dans leur pays, étant donné que les heurts entre les différentes communautés religieuses persisteraient et que d’anciens soldats de l’UCK chercheraient à « enflammer de nouveau la région par une guérilla pour obtenir un territoire autonome, que ce soit au Kosovo, au Monténégro ou en Macédoine » pour conclure qu’il n’existerait pas encore une « stabilité définitive » de la situation dans les Balkans et que la KFOR serait incapable de protéger les minorités en Yougoslavie.

Les demandeurs font finalement valoir que des membres de leurs familles résideraient au Luxembourg qui eux-mêmes auraient demandé de bénéficier du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

3 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux JASAROVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux JASAROVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 3 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état dans leur recours contentieux, à savoir l’insoumission de Monsieur JASAROVIC, il convient de rappeler que, d’une part, l’insoumission, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève et que, d’autre part, il n’est pas établi qu’actuellement, Monsieur JASAROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste un risque actuel de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement 4 yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Concernant les prétendues persécutions subies par les demandeurs ou risques de persécutions en raison de leur appartenance à la communauté religieuse des musulmans, il convient de relever que les menaces, insultes et cambriolages constituent certainement, à les supposer établis, des pratiques condamnables, mais ne dénotent pas, en l’espèce, une gravité telle qu’ils justifient, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution dans le pays d’origine des demandeurs.

Enfin, il convient d’ajouter que le fait que des membres de la famille des demandeurs se trouvent installés au Luxembourg ne saurait avoir une incidence quant au bien fondé ou mal fondé de leur demande d’asile, seul objet du présent litige, étant donné qu’un tel état des choses n’est pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

5 Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13285
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13285 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award