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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13210

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13210


Tribunal administratif N° 13210 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … VUJIC et son épouse, Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13210 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, assistée de Maître Katia AÏDARA, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avo

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Tribunal administratif N° 13210 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 12 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … VUJIC et son épouse, Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13210 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, assistée de Maître Katia AÏDARA, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … VUJIC, né le … à Prizren (Kosovo), et de son épouse, Madame … …, née le … à Prizren (Kosovo), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice prise en date du 12 janvier 2001, notifiée en date du 7 février 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative prise sur recours gracieux par ledit ministre en date du 8 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Katia AÏDARA et Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 21 juin 1999, Monsieur … VUJIC et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur Amina, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux VUJIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 16 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa les époux VUJIC-… par lettre du 12 janvier 2001, notifiée en date du 7 février 2001, de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Monsieur, vous exposez avoir fait votre service militaire le 1987/88.

Vous n’auriez jamais été appelé à la réserve.

Vous auriez travaillé en tant qu’enseignant de la langue serbe.

Vous expliquez que les autorités serbes auraient pris tous les hommes qui en étaient capables pour creuser des tranchées. Ils auraient également voulu prendre les gens en otage afin de se protéger contre les frappes de l’OTAN.

Vous indiquez que les musulmans auraient maintenant des problèmes avec les Albanais, parce qu’ils n’auraient pas été de leur côté. Vous n’auriez pas de droits au Kosovo en tant que musulman. Vous auriez été frappé en mars 1998 par vos voisins albanais parce que vous ne parlez pas leur langue. Ils vous auraient soupçonné de les avoir dénoncé.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari. Vous déclarez avoir pris la fuite en raison de la guerre. Vous auriez peur des Albanais maintenant étant donné que les Serbes vous auraient mêlés à cette guerre. Beaucoup de musulmans auraient travaillé pour les autorités serbes. Vous auriez peur parce que vous ne parlez pas l’albanais.

Force est de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Des centaines de milliers de personnes qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec une victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi, une persécution systématique des minorités ethniques est actuellement à exclure.

2 En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de votre appartenance à une minorité ethnique. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

De même, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Les faits allégués de votre part ne sont pas suffisamment graves pour constituer des persécutions.

Dans ces circonstances, vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par courrier du 6 mars 2001, les époux VUJIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 janvier 2001.

Par décision du 8 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 10 avril 2001, les époux VUJIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 janvier et 8 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils seraient originaires de Prizren au Kosovo, qu’ils seraient de confession musulmane et qu’ils craindraient de subir des persécutions en raison de leur appartenance à cette communauté. A ce titre, les demandeurs font valoir qu’ils auraient peur des Albanais, étant donné que « les Serbes les auraient mêlés à cette guerre » et que Monsieur VUJIC aurait été frappé par ses voisins en raison du fait qu’il ne parlerait pas l’albanais. Ils se réfèrent à des articles de presse qui relateraient régulièrement les hostilités entre les Albanais et les minorités, en l’espèce les « bochniaques », pour conclure que la situation « d’après-guerre » au Kosovo serait encore très instable et ceci malgré la présence d’une force internationale.

3 Enfin, ils estiment que la Convention relative aux droits de l’enfant signée à New York le 20 novembre 1989 aurait été violée.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Kosovo, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que la situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.

Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (cf. Cour adm. 19 octobre 2000, n°12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V°Etrangers, C. Convention de Genève, n°29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux VUJIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 16 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre en raison de leur appartenance à la minorité « bochniaque » du Kosovo, tout en concédant que les persécutions par eux invoquées émanent non pas de l’Etat, 4 mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo.

Ils estiment néanmoins que la crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de leur accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

Dans ce contexte, il y a lieu de relever que s’il est vrai que la situation générale des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques » est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres traitements ou discriminations par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut en effet, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit également avoir un caractère personnalisé.

En l’espèce, les demandeurs se réfèrent essentiellement à des événements illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo, sans faire état d’éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle. Force est encore de constater que les craintes de persécution afférentes invoquées se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, mais que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Ainsi, concernant les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation d’après guerre instable dans leur pays d’origine, il convient de constater que ces craintes s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Finalement, le moyen tiré de la prétendue violation de la Convention relative aux droits de l’enfant prévoyant que l’enfant doit être protégé contre toute forme de discrimination ou de sanction motivée par la situation juridique, les activités, les opinions déclarées ou les convictions des parents est à rejeter, étant donné que même à supposer établie une violation d’une des dispositions de ladite Convention, ce fait ne saurait impliquer la reconnaissance du statut de réfugié, ni dans le chef de l’enfant, ni dans celui de ses parents. L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas et notamment à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

5 Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Il ressort d’une lettre déposée par le mandataire des demandeurs au greffe du tribunal administratif en date du 10 avril 2001, que ces derniers bénéficient de l’assistance judiciaire.

Il échet partant de leur en donner acte.

PAR CES MOTIFS le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, donne acte aux demandeurs de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire, reçoit le recours en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13210
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13210 ?

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