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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13106

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13106


Tribunal administratif N° 13106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ZVEROTIC et son épouse, Madame … … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13106 du rôle, déposée le 21 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc

THEISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 13106 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 mars 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ZVEROTIC et son épouse, Madame … … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13106 du rôle, déposée le 21 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc THEISEN, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ZVEROTIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie) et de son épouse, Madame … …, née le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, notifiée le 23 février 2001, portant rejet de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en ses plaidoiries.

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En date du 14 septembre 1998, Monsieur … ZVEROTIC ainsi que son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leur enfant mineur Haris, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux ZVEROTIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.

En date du 16 novembre 1999, ils furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par lettre du 15 janvier 2001, notifiée en date du 23 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux ZVEROTIC-… de ce que leur demande d’asile avait été rejetée comme n’étant pas fondée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Monsieur, vous exposez avoir accompli votre service militaire en 1984/85. Vous n’auriez jamais été appelé à la réserve.

Vous auriez quitté le Kosovo parce que la situation ne serait pas sûre. Les Bosniaques seraient coincés entre les Serbes et les Albanais.

Vous n’auriez pas subi de persécutions personnelles. La situation aurait été tendue.

Vous auriez peur des Albanais étant donné que leur langue serait différente de la vôtre.

Madame, vous confirmez les déclarations de votre mari et vous n’invoquez pas d’éléments de persécution personnelle. Vous auriez pris la fuite en raison de la guerre au Kosovo. Vous expliquez avoir peur des Albanais parce que vous ne parlez pas l’albanais.

Force est cependant de constater que l’armée fédérale yougoslave et les forces de police dépendant des autorités serbes, à l’origine des répressions et exactions commises au Kosovo, ont quitté ce territoire depuis la fin du conflit armé en mai 1999. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place.

Des centaines de milliers de personnes, qui avaient quitté le Kosovo pour se réfugier en Albanie et dans l’Ancienne République yougoslave de Macédoine, ont réintégré leurs foyers après l’entrée des forces internationales sur le territoire.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant tous les deux que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec une victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

De même, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

Dans ces circonstances vous ne pouvez pas faire état d’un risque actuel de persécution pour des motifs tenant à votre race, à vos opinions politiques, à votre religion, à 2 votre nationalité ou à votre appartenance à un groupe social, que vous courriez si vous deviez retourner dans votre territoire d’origine.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par requête déposée en date du 21 mars 2001, les époux ZVEROTIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 15 janvier 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils appartiendraient à la minorité bosniaque du Kosovo et qu’ils seraient de confession musulmane, que partant ils feraient partie d’une minorité ethnique sujette à de nombreux actes de persécutions de la part des Albanais ou des autorités albanaises. D’une manière générale, les demandeurs estiment que les tensions ethniques actuelles et la politique suivie non seulement par l’administration civile établie au Kosovo sous l’égide de l’ONU, mais également par le Haut Commissariat aux réfugiés seraient de nature à constituer un danger imminent pour leur vie en ce que les membres des minorités seraient forcés de retourner dans leur village d’origine et en ce que le regroupement des membres des minorités serait favorisé afin d’éviter leur installation dans un lieu où leur ethnie n’est pas majoritaire.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs. Il appartient aux demandeurs d’asile d’établir avec la précision requise qu’ils remplissent les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n° 12179C du rôle, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives du 16 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble avec les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment celle des musulmans d’origine serbe, à laquelle déclarent appartenir les demandeurs, il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population ; elle n’est cependant pas telle que tous les membres de cette minorité ethnique seraient de ce seul fait exposés à des persécutions au sens de la Convention Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considérés individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter qu’à l’heure actuelle des persécutions de la part des autorités exerçant le pouvoir au Kosovo sont à exclure, étant donné, d’une part, que contrairement aux allégations des demandeurs, il n’y existe pas d’autorités légales albanaises, et, d’autre part, que les autorités en place fonctionnent sous l’égide de l’ONU et qu’elles ont notamment pour objectif d’assurer une coexistence pacifique des différentes ethnies établies au Kosovo.

Il convient de constater qu’en réalité les craintes exprimées par les demandeurs constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur sans qu’ils n’établissent concrètement en quoi, à l’heure actuelle, ils seraient encore exposés à un risque de persécution tel que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. D’ailleurs, tant Monsieur ZVEROTIC que son épouse, Madame … ont déclaré lors de leurs auditions respectives ne pas avoir fait l’objet de persécutions dans leur pays d’origine.

Comme les demandeurs n’ont invoqué aucun autre motif susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef, il y a lieu de constater, sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent, que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS 4 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13106
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13106 ?

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