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12/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13091

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 décembre 2001, 13091


Tribunal administratif N° 13091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … STANKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom Monsieur … STANKOVIC, n...

Tribunal administratif N° 13091 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 20 mars 2001 Audience publique du 12 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … STANKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13091 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 20 mars 2001 par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom Monsieur … STANKOVIC, né le … à Zavidovici, de nationalité bosniaque, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 novembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié et d’une décision confirmative du même ministre du 20 février 2001, rendue sur recours gracieux dirigé contre la décision initiale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 28 juin 2001 ;

Vu le mémoire en duplique déposé par le délégué du gouvernement au greffe du tribunal administratif le 12 juillet 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 3 juillet 2000, Monsieur … STANKOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New 1 York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur STANKOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

En date du 7 août 2000, Monsieur STANKOVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 novembre 2000, notifiée en date du 19 janvier 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur STANKOVIC de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée. Ladite décision est motivée comme suit :

«Vous exposez avoir reçu une convocation pour le service militaire en juin 2000. Vous auriez refusé de faire le service militaire en raison des guerres qu’il y aurait tout le temps dans la région.

Vous auriez peur d’être mis en prison et d’être forcé de faire le service militaire.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il n’y a actuellement aucun conflit armé dans la région de sorte que la crainte de devoir participer à une guerre n’est pas justifiée.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » A l’encontre de la décision précitée du 20 novembre 2000, Monsieur STANKOVIC a fait introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 17 février 2001.

Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice datant du 20 février 2001, il a fait introduire, par requête déposée en date du 20 mars 2001, un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 20 novembre 2000 et 20 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire 2 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait soutenir que le ministre de la Justice aurait commis une erreur d’appréciation des faits qu’il lui avait soumis, en rejetant, à tort, sa demande d’asile comme étant non fondée, alors qu’il estime au contraire remplir les conditions en vue de la reconnaissance du statut de réfugié politique.

A ce titre, il expose être originaire de Bosnie et Herzégovine, plus particulièrement de la commune de Zavidovici et être de religion orthodoxe, qu’il aurait résidé avec l’ensemble de sa famille dans la prédite localité avant la guerre, qu’en raison des événements de guerre et des hostilités qui auraient éclaté dans sa ville natale, il aurait dû quitter celle-ci ensemble avec sa famille afin de se réfugier dans la ville de Vovodaska (Serbie), qu’actuellement sa maison natale, située dans la prédite commune de Zavidovici qui serait passée sous l’administration de la Bosnie et Herzégovine à la suite de la signature des accords de Dayton de 1995, aurait fait l’objet d’une expropriation et d’une occupation illégitime par les autorités de cet Etat, rendant ainsi le retour de sa famille dans sa ville natale impossible, qu’il aurait de ce fait continué à vivre à Vovodaska jusqu’au moment de son départ en juin 2000 pour se rendre au Grand-

Duché de Luxembourg, que son départ de la Serbie serait motivé par le fait qu’il aurait refusé d’être enrôlé par les forces militaires yougoslaves et qu’actuellement, il aurait peur de rentrer dans son pays d’origine en raison du risque qu’il y encourerait de faire l’objet d’une condamnation disproportionnée du fait de son insoumission.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur STANKOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur, d’une part, se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du mémoire en réponse du délégué du gouvernement et, d’autre part, conclut à l’annulation des décisions ministérielles déférées, au motif que la délégation de signature accordée au signataire de celles-ci aurait été émise en violation de la procédure de la délégation de signature au sens des dispositions de l’ordonnance grand-ducale du 31 janvier 1970.

Il se dégage de l’article 5, paragraphe (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives que le délai pour fournir un mémoire en réponse est fixé à trois mois à dater de la signification de la requête introductive d’instance. En l’espèce, la requête a été déposée au greffe du tribunal administratif en date du 20 mars 2001 et notifiée par la voie du greffe au délégué du gouvernement par courrier du même jour. Partant, le délai pour déposer un mémoire en réponse a expiré en date du 20 juin 2001. Il s’ensuit que le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001 a été déposé dans le délai légal et partant le moyen tendant au rejet dudit mémoire est à écarter.

D’après l’article 2, alinéa 1er de l’ordonnance grand-ducale du 31 janvier 1970 concernant les délégations de signature par le Gouvernement « les délégations de signature sont écrites et formelles ». Par ailleurs, l’article 3, alinéas 2 et 3 de la même ordonnance grand-

3 ducale dispose que « le projet de toute délégation de signature est soumis à l’avis du ministre d’Etat. Une expédition de toute délégation de signature est déposée, avec un spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, au ministère d’Etat qui en donne communication aux services publics intéressés. Toute personne justifiant d’un intérêt légitime peut en obtenir connaissance ».

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement fait valoir dans son mémoire en duplique que le demandeur ne mentionne pas en quoi la procédure de délégation de signature n’aurait pas été respectée. Ainsi, un administré qui conteste la qualité du signataire d’un acte administratif doit spécifier en quoi les dispositions de l’ordonnance grand-ducale précitée du 31 janvier 1970 n’ont pas été respectées. Il lui appartient, le cas échéant, de s’enquérir au ministère d’Etat si la signature apposée sur la décision attaquée est conforme au spécimen de la signature du fonctionnaire délégué, conformément à l’article 3 de l’ordonnance précitée (trib.

adm. 27 février 1997, n° 9605 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Actes administratifs, II. Contenu formel d’une décision administrative, n° 41, p. 26 et autres références y citées). Le moyen d’annulation est dès lors à rejeter.

Dans le cadre de l’analyse, au fond, des décisions ministérielles déférées, le tribunal administratif est amené à vérifier si les faits invoqués par le demandeur constituent une crainte de persécution ou une persécution au sens de la Convention de Genève. A ce titre, il doit prendre en considération sa situation particulière dans son pays d’origine. En l’espèce, c’est la Serbie qui doit être considérée comme constituant le pays d’origine du demandeur, au motif qu’il y a habité pendant 8 ans avant de s’enfuir pour se rendre au Grand-Duché de Luxembourg et le tribunal ne saurait partant prendre en considération les arguments formulés par rapport au fait qu’avant de s’installer en Serbie ensemble avec ses parents, il a vécu en Bosnie Herzégovine.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser qui le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé de l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699 du rôle, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour 4 obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 19 octobre 2000, n° 12179C du rôle, Pas.

adm. 2001, V° Etrangers, C. Convention de Genève, n° 29).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur, lors de son audition du 7 août 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble avec les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse ainsi que les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er section A, 2 de la Convention de Genève.

En effet, en ce qui concerne le seul motif invoqué par Monsieur STANKOVIC pour justifier sa reconnaissance du statut de réfugié politique, force est de constater que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef d’un demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine, du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur STANKOVIC risque encore actuellement de devoir participer à des actions miliaires contraires à des raisons de conscience valables et le demandeur reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de l’insoumission alléguée.

Il convient en effet d’ajouter à cet égard que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le Parlement Yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, versée au dossier par le représentant étatique, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par :

5 M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 12 décembre 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13091
Date de la décision : 12/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-12;13091 ?

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