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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13508

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13508


Tribunal administratif N° 13508 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … LICINA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13508 du rôle et déposée le 29 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nadia ABDELKADER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … L

ICINA, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant...

Tribunal administratif N° 13508 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 29 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … LICINA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13508 du rôle et déposée le 29 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean MINDEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Nadia ABDELKADER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LICINA, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 3 avril 2001, confirmant sur recours gracieux une première décision du même ministre du 17 janvier 2001, notifiée le 9 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nadia ABDELKADER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.

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Le 7 juin 1999, Monsieur … LICINA introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur LICINA fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité. Il fut entendu en outre par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile en date du 8 juin 1999.

Le ministre de la Justice informa Monsieur LICINA par décision du 17 janvier 2001, notifiée le 9 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, étant donné que l’insoumission ne constituerait pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié et qu’en outre, il ne serait pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée fédérale yougoslave imposerait actuellement la participation de Monsieur LICINA à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Par courrier de son mandataire datant du 9 mars 2001, Monsieur LICINA fit introduire un recours gracieux à l’encontre la décision ministérielle prévisée du 17 janvier 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 3 avril 2001, il a fait introduire, par requête déposée en date du 29 mai 2001, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que ce serait à tort que le ministre a considéré que son insoumission ne saurait constituer un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’il résulterait des éléments du dossier et plus particulièrement de son rapport d’audition qu’il aurait subi des maltraitances et persécutions de la part de nombreux réservistes et qu’en prenant la fuite il aurait essayé d’éviter d’être condamné, sinon exécuté pour ne pas avoir accepté de tuer les siens dans le cadre du service militaire. Il fait valoir à cet égard que son refus de donner des suites à l’appel au service militaire aurait été fondé sur des motifs politiques et religieux, de sorte que ses craintes de représailles afférentes rentreraient sous les prévisions de la Convention de Genève. Le demandeur fait valoir en outre que les musulmans seraient traités de manière inacceptable au Monténégro et qu’actuellement il n’y aurait plus aucun membre de sa famille dans son pays d’origine, lui-

même vivant avec sa sœur et son frère au Luxembourg.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre aurait fait une seine appréciation de la situation de Monsieur LICINA et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

2 La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur LICINA lors de son audition en date du 8 juin 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission de Monsieur LICINA, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A.2, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur LICINA risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.

Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.

Par ailleurs, les craintes de persécutions en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine, constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. Cette conclusion ne saurait être énervé par la considération qu’aucun membre de la famille du demandeur ne se trouve plus au Monténégro, faute de rentrer sous les prévisions de la Convention de Genève.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

3 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13508
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13508 ?

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