Tribunal administratif N° 13505 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … ILIC, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13505 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2001 par Maître Fränk ROLLINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ILIC, né le … à Zavidovici (Bosnie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, notifiée le 23 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2001 par Maître Fränk ROLLINGER au nom de Monsieur ILIC ;
Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fränk ROLLINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.
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En date du 19 mai 1999, Monsieur … ILIC introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Il fut en outre entendu en date du 8 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa Monsieur ILIC, par décision du 15 janvier 2001, notifiée le 23 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée au motif que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef et que pour le surplus les motifs invoqués à la base de sa demande s’analyseraient en un sentiment général d’insécurité en raison de la situation politique en Yougoslavie, non constitutive en tant que telle d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par courrier de son mandataire datant du 22 mars 2001, Monsieur ILIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 janvier 2001.
Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 26 avril 2001, il a fait introduire, par requête déposée en date du 28 mai 2001, un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision prévisée du 15 janvier 2001.
L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est partant irrecevable.
A l’appui de son recours, le demandeur fait d’abord valoir que l’instruction de son dossier aurait été faite en violation de ses droits de la défense, étant donné que le ministre se serait basé sur un dossier incomplet, voire erroné pour lui refuser le statut de réfugié. Il signale à cet égard qu’entre son audition du 8 novembre 1999 et la notification de la décision déférée, quatorze mois se sont écoulés et il soutient plus particulièrement qu’il aurait appartenu au ministre de rapprocher le plus possible la date de sa décision de son audition afin d’éviter qu’entre ces deux dates de nouveaux éléments susceptibles d’avoir une incidence sur le sort de la demande d’asile puissent intervenir.
Dans son mémoire en réplique, il précise encore que lors de son audition l’agent du ministère de la Justice n’aurait pas attiré son attention sur le fait qu’il s’agirait d’une audition unique.
Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il se dégage des pièces versées au dossier que le demandeur, ayant introduit un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle déférée, est resté en défaut d’étayer, serait-ce seulement dans le cadre de son recours contentieux, quels auraient été les éléments nouveaux susceptibles de compléter utilement son audition du 8 novembre 1999. En effet, tant au niveau 2 de ses déclarations initiales que dans le cadre de son recours gracieux et de sa requête introductive d’instance, le demandeur fait état de sa seule crainte de persécutions politiques en raison des suites réservées à son insoumission dans son pays d’origine, sans faire état d’un quelconque élément nouveau susceptible de compléter le cas échéant ses déclarations. Il s’ensuit qu’aucune lésion afférente de ses droits de la défense ne saurait être retenue.
Quant au fond, le demandeur fait valoir qu’il risquerait plus précisément d’encourir une très lourde peine d’emprisonnement du chef de désertion en cas de retour dans son pays d’origine, et que cette sanction serait constitutive dans son chef d’une persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné que sa désertion aurait été dictée par des raisons politiques et d’appartenance ethnique et de conscience. Estimant ainsi que le ministre de la Justice n’aurait pas apprécié à sa juste valeur sa situation spécifique et subjective, il conclut à la réformation de la décision déférée par l’octroi du statut de réfugié.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur ILIC et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, Engel, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11, p. 407).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ILIC lors de son audition en date du 8 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A.2, de la Convention de Genève.
Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur ILIC risquait ou risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il 3 reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.
Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et que des jugements déjà prononcés seraient encore exécutés effectivement.
Il se dégage des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4