Tribunal administratif N° 13495 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … SOFTIC et son épouse Madame … … et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro 13495 du rôle, déposée le 28 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SOFTIC, né le … Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie) et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants … et … SOFTIC, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 février 2001, notifiée en date du 15 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 26 avril 2001 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises :
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Louis TINTI et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.
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Le 29 janvier 1999, Monsieur … SOFTIC et son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … SOFTIC, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Les époux SOFTIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux de la gendarmerie grand-ducale sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur leur identité.
Ils furent en outre entendus séparément en date du 30 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Le ministre de la Justice informa les époux SOFTIC-… par décision du 9 février 2001, notifiée le 15 mars 2001, de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs que la désertion de Monsieur SOFTIC de l’armée fédérale yougoslave ne serait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans son chef une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève et que par ailleurs le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo serait terminé, de même que le sentiment général de peur des demandeurs en raison de leur confession musulmane ne serait pas non plus de nature à établir que leur situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée d’être victimes de persécutions au sens de la Convention de Genève dans leur pays d’origine.
Par courrier de leur mandataire datant du 17 avril 2001, les consorts SOFTIC-… firent introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle prévisée du 9 février 2001.
Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 26 avril 2001, les consorts SOFTIC-… ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 9 février et 26 avril 2001 par requête déposée en date du 28 mai 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane. Ils reprochent au ministre d’avoir fait une appréciation erronée des faits en retenant que les éléments par eux soumis ne seraient pas de nature à fonder dans leur chef l’existence d’une crainte justifiée de persécution. Ils exposent que le départ de leur pays d’origine aurait été motivé par le fait que Monsieur SOFTIC, qui aurait déserté des forces militaires réservistes en janvier 1999, craindrait les conséquences de cet acte. Les demandeurs soutiennent que la désertion de Monsieur SOFTIC devrait être admise comme pouvant fonder une crainte légitime de persécution, étant donné que son attitude aurait été dictée par des raisons politiques et de conscience et que son comportement risquerait d’être perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme l’expression d’une opinion politique. Ils affirment qu’en cas de retour dans leur pays d’origine, la désertion de Monsieur SOFTIC risquerait d’être sanctionnée moyennant une condamnation pénale militaire d’une sévérité disproportionnée et l’exposant à un traitement discriminatoire en raison non seulement de son attitude, mais également de sa confession musulmane, de manière à constituer un acte de répression à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève. Les demandeurs font valoir en outre que la loi d’amnistie récemment adoptée au niveau fédéral ne permettrait pas de garantir à Monsieur SOFTIC qu’il ne soit pas poursuivi, étant donné que cette loi s’étendrait à tous les délits commis entre le 27 avril 1992 et le 7 octobre 2000 et que, selon la législation yougoslave, l’infraction ayant consisté à refuser d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves serait une infraction continuée, ne prenant fin qu’au moment où son auteur se présente devant les autorités compétentes pour régulariser sa situation. Or, dans la mesure où l’infraction 2 commise par Monsieur SOFTIC n’aurait pas cessé de continuer après le 7 octobre 2000, la loi d’amnistie risquerait de ne pas lui être applicable.
Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts SOFTIC-… et que le recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11, p. 407).
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux SOFTIC-SEJARIC dans le cadre de l’instruction de leur demande d’asile, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que l’insoumission de Monsieur SOFTIC, n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs d’asile une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. Il ne ressort par ailleurs pas des éléments du dossier que Monsieur SOFTIC risque encore actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue insoumission.
Il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, les demandeurs n’établissent pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles 3 d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées.
Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que des déserteurs et insoumis seraient condamnés malgré la loi d’amnistie. En effet cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance, étant donné qu’il se dégage d’une prise de position du Haut Commissariat pour les réfugiés versée en cause que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qu’il n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux personnes ayant été à l’étranger après le 7 octobre 2000 et n’ayant pas reçu de nouvel appel après cette date (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, non encore publié).
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par :
Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.
s. Schmit s. Lenert 4