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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13459

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13459


Tribunal administratif N° 13459 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … KOLIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13459 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Charles KIMMEL, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …

KOLIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, de...

Tribunal administratif N° 13459 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 18 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … KOLIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13459 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 mai 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Charles KIMMEL, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … KOLIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative intervenue sur recours gracieux et prise par le prédit ministre en date du 29 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2001 par Maître Albert RODESCH au nom de Monsieur … KOLIC ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Charel KIMMEL et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.

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En date du 9 novembre 2000, Monsieur … KOLIC introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur KOLIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 14 novembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur KOLIC par décision du 8 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, de ce que sa demande avait été rejetée au motif que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires ne serait pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, étant donné d’abord que l’insoumission ne serait pas constitutive, à elle seule, d’un motif valable pour obtenir ledit statut et que, en outre, le conflit armé au Kosovo serait terminé depuis mai 1999 avec le retrait des troupes fédérales yougoslaves de ce territoire.

Par courrier de son mandataire datant du 14 mars 2001, Monsieur KOLIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 8 janvier 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 29 mars 2001, il a fait introduire, par requête déposée en date du 18 mai 2001, un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 8 janvier et 29 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur fait exposer qu’il aurait été enrôlé de force dans l’armée yougoslave afin de participer dans un conflit ethnique, voire de religion et d’y combattre ses frères de religion au Kosovo, qu’il aurait été maltraité lors de son service militaire en raison de sa religion musulmane, qu’il aurait dû participer à des cambriolages de maisons d’Albanais au Kosovo sous la menace de mort, qu’il aurait dû ramasser des cadavres et qu’au combat il aurait toujours été placé en première ligne afin qu’il se fasse tuer le plus rapidement possible.

Il signale ensuite que confronté à ces persécutions et humiliations permanentes en raison de sa confession, il aurait déserté en avril 1999. Il fait valoir qu’en cas de retour forcé dans son pays d’origine, il risquerait d’encourir une condamnation à une peine d’emprisonnement de plusieurs années à cause de sa désertion, ainsi que des représailles et des discriminations dont les seuls éléments de détermination seraient sa fuite et sa religion musulmane. Il relève à cet égard que toutes les organisations internationales, gouvernementales et non-

gouvernementales, présentes en Yougoslavie feraient état de sérieuses violations des droits de l’homme à l’encontre d’objecteurs de conscience ou de déserteurs de l’armée yougoslave et que même la loi d’amnistie entrée en vigueur le 3 mars 2001 ne garantirait pas l’amnistie à tous ceux qui, par leur départ à l’étranger, ont refusé de prendre les armes ou ne se sont pas soumis à l’appel. Il signale en outre que les mauvais traitements, la violence gratuite et la torture seraient monnaie courante dans les prisons yougoslaves et que l’indépendance et l’impartialité de la justice yougoslave seraient également mises en cause de façon régulière 2 par des organisations internationales, ce d’autant plus que ce ne serait pas devant les autorités civiles qu’il aurait à répondre de sa désertion, mais bien devant les autorités militaires et notamment celles dont il aurait du subir au préalable les persécutions.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur précise que même s’il ne devait pas craindre de sanctions au niveau national, il risquerait d’être victime de représailles au niveau local par la police, voire la victime d’une « vendetta » privée, étant donné que dans la population, les sentiments de haine et de rancune perdureraient.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KOLIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib.adm. 1er octobre 1997, n°9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n°11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KOLIC lors de son audition en date du 14 novembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur d’asile une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A.2, de la Convention de Genève. En l’espèce, il ne ressort pas des éléments du dossier que Monsieur KOLIC risque encore à l’heure actuelle de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et il reste en défaut d’expliquer et d’établir l’existence, à l’heure actuelle, d’un risque de persécution dans son chef en raison de sa prétendue désertion.

3 En effet, si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement en raison de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et entrée en vigueur le 3 mars 2001, visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave et incluant expressément l’hypothèse de ceux ayant quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements de condamnation déjà prononcés sont encore effectivement exécutés.

Les arguments et déclarations faites par le demandeur constituent pour le surplus plutôt l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il fasse état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui seraient telles que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13459
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13459 ?

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