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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13427

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13427


Tribunal administratif N° 13427 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Madame … DONVEN et consorts, …, contre une décision du procureur d'Etat près le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, en matière de dessaisissement d'un juge d'instruction

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 9 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la

Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DONVEN, née …, c...

Tribunal administratif N° 13427 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Madame … DONVEN et consorts, …, contre une décision du procureur d'Etat près le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, en matière de dessaisissement d'un juge d'instruction

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JUGEMENT

Vu la requête déposée le 9 mai 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Fernand ENTRINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l'Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DONVEN, née …, commerçante, de Monsieur … DONVEN, étudiant, et de Monsieur … DONVEN, étudiant, les trois demeurant ensemble à L-…, agissant en leur qualité respectivement de veuve et de fils de feu Monsieur … DONVEN, …, ayant demeuré en dernier lieu à L-…, décédé à Luxembourg le 28 septembre 1997, tendant à la réformation, subsidiairement à l’annulation d’une décision prise le 2 avril 2001 par le procureur d'Etat près le tribunal d'arrondissement de Luxembourg, portant refus de remplacer le juge d'instruction Georges OSWALD, chargé d'enquêter dans le dossier de la mort de Monsieur Jean DONVEN, à la clinique … à …, suite à une plainte avec constitution de partie civile pour non-assistance en personne en danger;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 18 septembre 2001 au nom des demandeurs;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé le 12 octobre 2001;

Vu les pièces versées et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fernand ENTRINGER et Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 23 mars 2001, le mandataire de Madame … DONVEN, née …, …, de Monsieur … DONVEN, étudiant, et de Monsieur … DONVEN, étudiant, ci-après dénommés les consorts DONVEN, a adressé au procureur d'Etat près le tribunal d'arrondissement de Luxembourg une lettre de la teneur suivante: "Les requérants ont porté plainte avec constitution de partie civile en date du 6 avril 1998 contre le Docteur (…), médecin spécialiste, exerçant dans la 2 Clinique …, du chef d'homicide par imprudence, respectivement négligence, et non-assistance à personne en danger, ceci suite au décès de …DONVEN, mari, respectivement père des requérants, décédé le 28 septembre 1997 dans la Clinique ….

Le dossier a été traité à ce jour par le juge d'instruction Georges OSWALD.

En application de l'article 55 du code d'instruction criminel(le), les requérants demandent par la présente le dessaisissement du juge OSWALD, alors que ce dernier, suite à une plainte du soussigné dans une autre affaire, va sous peu être inculpé du chef de faux, respectivement de faux témoignage.

Il importe pour la sérénité de l'instruction qu'un autre juge soit saisi du dossier." Le 27 mars 2001, le procureur d'Etat a répondu ce qui suit: "En réponse à votre estimée du 23 mars 2001 dans l'affaire notée en marge je me permets de vous informer que la cause du dessaisissement sollicité par vous de Monsieur le Juge d'instruction Georges OSWALD ne rentre pas dans les prévisions de l'article 55 du Code d'instruction criminelle (voir Jurisclasseur, procédure pénale Article. 79 à 84 fascicule 20 n° 255 et suivants).

Il en résulte que je ne présenterai pas de demande en dessaisissement de Monsieur OSWALD à Madame le Juge d'instruction-directeur." Par requête déposée le 9 mai 2001, les consorts DONVEN ont déposé un recours tendant principalement à la réformation de la décision en question, et subsidiairement à son annulation. Ils font exposer que dans une affaire pénale relative à la violation du secret bancaire – à laquelle ils sont étrangers, mais où leur mandataire assure la défense des intérêts d'une des parties – , le juge d'instruction Georges OSWALD a été entendu comme témoin à la barre les 16 et 29 mars 2000. Estimant que le juge d'instruction y a fait un faux témoignage, Maître Fernand ENTRINGER, au nom de ses clients, a déposé plainte pour faux témoignage contre celui-ci. L'instruction de cette affaire est actuellement pendante. Au nom des consorts DONVEN, Maître ENTRINGER expose qu'étant donné que le juge d'instruction Georges OSWALD a été mis en cause personnellement pour faux témoignage dans l'affaire de violation du secret bancaire, il n'est plus en mesure "à l'égard d'une partie et de son défenseur, d'avoir ce détachement et cette liberté intérieurs pour instruire à charge et à décharge", et que "maintenir dans ces circonstances le juge OSWALD sur le dossier, c'est priver les requérants d'une instruction équitable et conforme au droit: aux principes élémentaires de justice et aux droits de l'homme." Quant à la compétence du tribunal administratif, les consorts DONVEN font expliquer que législateur n'a pas permis à une partie de demander elle-même le dessaisissement du juge d'instruction, ce pouvoir n'appartenant qu'au procureur d'Etat dont la décision ne constitue pas une décision juridictionnelle parce qu'il n'a aucun pouvoir de juger. La décision afférente émanerait d'une autorité administrative spécialement chargée par la loi de prendre les décisions ad hoc dans l'éventualité prévue par le législateur. Par voie de conséquence, le tribunal administratif serait compétent pour juger le recours contentieux introduit contre une telle décision.

Le délégué du gouvernement conteste la compétence du tribunal administratif en faisant valoir que la lettre incriminée du procureur d'Etat ne constituerait pas un acte administratif, et qu'elle ne contiendrait pas d'élément décisionnel de nature à affecter les droits 3 individuels des administrés. Il ajoute que la séparation des pouvoirs s'opposerait à l'empiétement, par la juridiction administrative, sur les attributions des tribunaux judiciaires.

Les consorts DONVEN rétorquent que s'il est vrai que la séparation des pouvoirs implique l'indépendance du pouvoir judiciaire par rapport aux autres pouvoirs institutionnels, cette indépendance n'est qu'une pure indépendance d'exercice, c'est-à-dire de la fonction de juger et rien d'autre. Ils ajoutent que l'indépendance vise exclusivement les magistrats du siège, et non ceux du ministère public, qui sont placés sous l'autorité du ministre de la Justice.

Ils en déduisent que le procureur d'Etat est un organe hiérarchique et non pas juridictionnel qui, dans un contentieux selon des formes respectant le contradictoire, dirait le droit en cas de contestations.

Ils soulignent qu'ils ne contestent pas "la juridiction appelée à toiser le litige du remplacement du juge OSWALD, à savoir la chambre du conseil près le tribunal en première instance et la chambre du conseil près la cour en appel." Ils estiment cependant que le procureur d'Etat a pris une décision administrative dans le "Vorfeld" du contentieux juridictionnel proprement dit. Ils reprochent à la décision de celui-ci d'être intervenue sans procédure contradictoire préalable, et d'affecter par ailleurs leurs droits, dès lors que tout un chacun a droit à une justice impartiale. La décision du procureur serait détachable de la procédure judiciaire dans laquelle elle s'inscrit, et comme telle soumise au droit administratif et à la procédure contentieuse et administrative comme telle. Pour étayer leur raisonnement, ils citent de la doctrine française qui plaide en faveur d'une compétence du juge administratif à connaître des actes d'autorités judiciaires lorsque la compétence judiciaire ne permet pas au juge judiciaire, faute de recours approprié, de régler le litige. Ils estiment que l'hypothèse est donnée en l'espèce, car à défaut par le procureur d'Etat d'agir, le juge d'instruction directeur et, dans la suite, la chambre du conseil près le tribunal d'arrondissement ne peuvent être saisis.

En vertu de l'article 3, alinéa 1er de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l'ordre administratif, le tribunal administratif connaît comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales lui attribuent connaissance.

Aucun texte législatif n'attribuant au tribunal administratif compétence à connaître, comme juge du fond, des recours dirigés contre les décisions prises par le procureur d'Etat dans le cadre de l'article 55, alinéa 1er du code d'instruction criminelle, relatif au dessaisissement du juge d'instruction au profit d'un autre juge d'instruction, le tribunal administratif est incompétent pour connaître du recours en réformation, introduit en ordre principal.

L'article 2, alinéa 1er de la même loi dispose que le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l'égard desquelles aucun autre recours n'est admissible d'après les lois et règlements.

Les décisions qui se rattachent à une activité juridictionnelle ne constituent pas des décisions administratives et échappent comme telles au contrôle du juge administratif.

Hormis en matière gracieuse, qui n'est pas en cause dans la présente espèce, il est de l'essence de l'activité juridictionnelle de dire le droit dans un litige entre deux ou plusieurs personnes privées ou publiques. Pour relever de l'activité juridictionnelle, les actes posés par 4 les instances juridictionnelles n'ont pas besoin d'épuiser le litige, mais doivent du moins contribuer à préparer sa solution.

L'activité juridictionnelle ne se définit pas par son organe. S'il est vrai que cette activité est exercée principalement par des magistrats du siège, d'autres organes institutionnels, comme le ministère public près les juridictions, peuvent contribuer à la mise en oeuvre du processus juridictionnel. – Réciproquement, dès lors que leur activité ne tend pas à l'élaboration d'une décision juridictionnelle, les organes juridictionnels peuvent poser des actes administratifs comme tels soumis au contrôle du juge administratif.

En l'espèce, ainsi que les demandeurs le reconnaissant eux-mêmes, la décision du procureur d'Etat de ne pas demander le dessaisissement du juge d'instruction au profit d'un autre juge d'instruction, s'inscrit dans le cadre de l'instruction d'une affaire pénale devant aboutir, au terme de la procédure en question, soit à une ordonnance de non-lieu, soit au renvoi de l'inculpé à la juridiction de jugement, ce renvoi étant lui-même le préalable à un jugement sur la culpabilité ou l'innocence du prévenu.

Il s'ensuit que la décision du procureur d'Etat de ne pas demander le dessaisissement du juge d'instruction Georges OSWALD a une nature juridictionnelle et échappe comme telle à la compétence d'annulation du juge administratif.

Il y a lieu d'ajouter que la question de la partialité éventuelle du juge d'instruction ayant éventuellement vicié la procédure pénale peut être débattue et jugée, à un stade ultérieur, devant une instance juridictionnelle, de sorte que le reproche d'une absence de recours juridictionnel contre la décision de ne pas demander le dessaisissement du juge d'instruction n'est pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

se déclare incompétent pour connaître du recours, condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l'audience publique du 10 décembre 2001 par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13427
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13427 ?

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