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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13365

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13365


Tribunal administratif N° 13365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par les époux … CRNOVRSANIN et … … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13365 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2001 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … CRNOVRSANIN, né le … à Bérane (Mont...

Tribunal administratif N° 13365 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 mai 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par les époux … CRNOVRSANIN et … … et consorts contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13365 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 2 mai 2001 par Maître Guy THOMAS, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … CRNOVRSANIN, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Niksic (Monténégro/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, née le … à Bérane et …, né le … à Bérane, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 21 novembre 2000, portant refus de leur demande en obtention du statut de réfugié et les invitant à quitter le territoire luxembourgeois, notifiée le 13 février 2001 et confirmée sur recours gracieux par décision du même ministre du 29 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 15 octobre 2001 par Maître Guy THOMAS au nom des demandeurs ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 octobre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Nathalie HAGER, en remplacement de Maître Guy THOMAS, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 décembre 2001.

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Le 19 mars 1999, les époux … CRNOVRSANIN et … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de 1 réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux CRNOVRSANIN-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 4 février 2001, ils furent en outre entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 21 novembre 2000, notifiée le 13 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux CRNOVRSANIN-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’ils resteraient en défaut d’établir concrètement que leur situation individuelle serait telle qu’elle laisserait supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève dans leur chef et qu’il ne serait pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée yougoslave imposerait à l’heure actuelle à Monsieur CRNOVRSANIN la participation des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. Le ministre a encore relevé que les autres motifs invoqués (peur pour la sécurité de leur famille, peur des paramilitaires serbes) ne seraient pas non plus de nature à justifier une crainte de persécution telle qu’énoncée à la Convention de Genève dans leur chef.

Par la même décision, le ministre invita les consorts CRNOVRSANIN-… à quitter le territoire dans le mois suivant la notification de cette décision, sinon, au cas où ils exerceraient un recours devant les juridictions administratives, dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée.

A l’encontre de la décision prévisée du 21 novembre 2000, les consorts CRNOVRSANIN-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 12 mars 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 29 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle prévisée du 21 novembre 2000 par requête déposée en date du 2 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée pour autant qu’elle a refusé de faire droit à leur demande d’asile. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable pour autant que ledit volet de la décision déférée est concerné.

Concernant le volet de la décision déférée ayant trait à l’invitation de quitter le territoire adressée aux demandeurs, seul un recours en annulation a pu être introduit, étant donné qu’un recours au fond n’est pas prévu en cette matière. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors recevable pour autant que ledit volet de la décision déférée est concerné pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

2 Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et qu’ils appartiennent à la minorité des musulmans slaves, à l’encontre desquels les autorités yougoslaves pratiqueraient une politique d’épuration ethnique. Ils estiment que la décision déférée serait le résultat d’une erreur manifeste d’appréciation des éléments de fait et de droit en cause et font valoir plus particulièrement à cet égard que c’était face à la terreur de la politique criminelle de purification ethnique dans leur pays d’origine qu’ils auraient préféré quitter leur pays et se réfugier à l’étranger, étant donné que cette politique frapperait plus durement les intellectuels musulmans et que Monsieur CRNOVRSANIN serait juriste de formation. Ils relèvent en outre que Monsieur CRNOVRSANIN aurait été convoqué à comparaître à l’audience du tribunal principal de Bérane du 9 janvier 2001 pour y répondre du chef d’infraction à l’article 214 de la loi pénale de la République fédérale yougoslave pour avoir refusé à plusieurs reprises de donner suite à l’appel pour l’armée et de s’être ainsi soustrait aux obligations du service militaire. Ils font valoir que dans la mesure où il ne se serait pas présenté à ladite audience, il risquerait, en cas de retour dans son pays d’origine, d’être arrêté par la force publique, ainsi que d’encourir une peine d’emprisonnement de cinq à vingt années, ceci eu égard surtout à son appartenance à une minorité ethnique et religieuse. Les demandeurs font encore valoir que l’insoumission de Monsieur CRNOVRSANIN aurait été motivée par des raisons de conscience impérieuses ayant consisté à refuser le service armé à un moment où les autorités se préparaient à la guerre du Kosovo, de sorte que cet acte rentrerait sous les prévisions de la Convention de Genève et que la peine prévue pour la désertion ou l’insoumission devrait être considérée en soi comme une persécution.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm.

2001, v° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de 3 nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur CRNOVRSANIN, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur CRNOVRSANIN risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, et que Monsieur CRNOVRSANIN n’établit pas non plus à suffisance qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de son insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave et visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs et les pièces versées au dossier étant donné qu’il se dégage d’une prise de position du Haut Commissariat pour les Réfugiés versée au dossier que celui-ci est d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux dites personnes (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, non encore publié).

Concernant ensuite les craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance à la minorité des musulmans slaves, force est de constater que si la situation générale des membres de ces minorités est certes difficile, il n’est cependant pas établi qu’elle serait telle que tout membre d’une minorité ethnique de ce type serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En l’espèce, les demandeurs se réfèrent essentiellement au climat général dans leur pays d’origine sans apporter des éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle, de sorte qu’une crainte de persécution afférente laisse d’être établie dans leur chef.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé pour autant que le volet de la décision déférée ayant trait à la demande d’asile des consorts CRNOVRSANIN-… est concerné.

Conformément aux dispositions de l’article 14, alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacés ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à 4 des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Il est constant que la notion de risque applicable, conformément à la jurisprudence européenne, est celle du risque réel et que le risque catégoriel n’est pas pris en considération, le demandeur devant prouver non seulement la réalité de sa situation particulière, mais aussi l’existence d’un risque individuel dans son chef (cf. Jean-François Renucci, Droit européen des droits de l’homme, 2e édition, L.G.D.J, p. 82).

La charge de la preuve incombant par ailleurs aux demandeurs en matière d’éloignement des étrangers, force est de constater en l’espèce que les demandeurs restent en défaut d’établir l’existence dans leur chef d’un risque concret et individuel de menace grave à leur vie ou à leur liberté dans leur pays d’origine. Les craintes par eux invoquées reposent en effet essentiellement sur la situation générale au Monténégro, sans qu’ils ne fournissent des éléments permettant de dégager que considérés individuellement ils seraient exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme dans leur pays d’origine.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours en annulation sous examen laisse également d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme pour autant que dirigé contre le refus d’octroi du statut de réfugié ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

se déclare incompétent pour en connaître pour le surplus ;

reçoit le recours en annulation pour autant que dirigé contre l’ordre de quitter le territoire en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

déclare ledit recours irrecevable pour le surplus ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

5 s. Schmit s. Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13365
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13365 ?

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