La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13328

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13328


Tribunal administratif N° 13328 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … BRCVAK, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13328 du rôle et déposée le 23 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BRCVAK, né le … à Bijelo Polje (Monténégr...

Tribunal administratif N° 13328 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … BRCVAK, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13328 du rôle et déposée le 23 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … BRCVAK, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 novembre 2000, notifiée le 15 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 20 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 4 octobre 2001 ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 21 juillet 1999, Monsieur … BRCVAK introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur BRCVAK fut en outre entendu en date du 27 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 22 novembre 2000, notifiée en date du 15 février 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations qu’un passeur vous aurait conduit au Luxembourg en passant par la Bosnie, la Croatie et la Slovénie. Vous ne pouvez pas donner d’autres indications en ce qui concerne les pays traversés. Vous êtes arrivé au Luxembourg en date du 20 juillet 1999 et vous avez déposé une demande en reconnaissance du statut de réfugié le lendemain de votre arrivée.

Vous exposez que vous avez effectué le service militaire en 1997 et 1998, mais que vous n’avez pas été appelé à la réserve. Vous avez quitté votre pays en raison des tensions qui y règnent. Vous voulez rester au Luxembourg jusqu’à ce que la situation se calme. Vous redoutez cependant l’éclatement d’un conflit armé entre la Serbie et le Monténégro et d’être appelé à la réserve. Cette peur est liée à votre religion sans que vous ne fournissiez d’autres explications. Enfin, vous relevez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Force est de constater que la peur générale d’un conflit au Monténégro n’est pas de nature à justifier une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la prédite Convention. A cela s’ajoute qu’il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui traduit notamment son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une 2 procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 14 mars 2001, Monsieur BRCVAK introduisit par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 22 novembre 2000.

Par décision du 20 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 23 avril 2001, Monsieur BRCVAK a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 22 novembre 2000 et 20 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions, au motif qu’il aurait fui son pays en ce qu’il n’avait pas voulu « aller à la réserve » de peur de devoir participer à la guerre, de sorte qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité objective de son infraction. Le demandeur fait encore état de son appartenance à la communauté musulmane et la situation générale instable qui règne dans son pays d’origine.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce 3 contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.

adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur BRCVAK lors de son audition en date du 27 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur BRCVAK, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur BRCVAK risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur BRCVAK n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion n’est pas énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit « continué » et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits dont on connaîtrait la date exacte à laquelle ils ont été commis ainsi qu’aux insoumis qui auraient pu se présenter devant un organe compétent pour régulariser leur situation, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce qu’au moment où une 4 demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).

Dans ce contexte, il convient encore d’ajouter que les pièces déposées par le mandataire du demandeur, à savoir divers articles de presse, ainsi qu’une ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé Nedzad HADZAJLIC, n’entraînent pas non plus la conviction du tribunal alors que ces documents ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisants pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’aurait pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Enfin, les craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté musulmane et de la situation générale tendue dans sa région d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13328
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13328 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award