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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13322

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13322


Numéro 13322 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … FRANCA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13322 du rôle, déposée le 23 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Walter N. SCHELP, avocat à la Cour, assistÃ

© de Maître Ender ULCUN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats...

Numéro 13322 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … FRANCA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13322 du rôle, déposée le 23 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Walter N. SCHELP, avocat à la Cour, assisté de Maître Ender ULCUN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … FRANCA, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ender ULCUN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2001.

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Le 7 mai 1999, Monsieur … FRANCA, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur FRANCA fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur FRANCA fut entendu en date du 9 novembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur FRANCA, par décision du 15 janvier 2001, notifiée en date du 21 mars 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

A l’encontre de cette décision ministérielle de rejet, Monsieur FRANCA a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation par requête déposée le 23 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Le demandeur soulève un moyen de régularité de la procédure d’instruction préalable qu’il y a lieu d’analyser en premier lieu. Il soutient qu’en violation de l’article 5 de la loi prévisée du 3 avril 1996, il n’aurait pas été informé de son droit de se faire assister par un avocat au cours de la procédure d’audition, de manière que l’instruction de sa demande d’asile serait irrégulière et que la décision ministérielle critiquée devrait encourir l’annulation.

Aux termes de l’article 5 prévisé, « le demandeur d’asile est informé de son droit de se faire assister à titre gratuit d’un interprète et de son droit de choisir un avocat inscrit au tableau de l’un des barreaux établi au Grand-Duché de Luxembourg ou de se faire désigner un avocat par le bâtonnier de l’ordre des avocats. Le fait que ladite information a été donnée au demandeur d’asile devra ressortir du dossier ».

En l’espèce, le rapport d’audition du 9 novembre 1999 renseigne à la première page la déclaration suivante : « J’ai été informé que j’ai le droit à l’assistance d’un avocat à titre gratuit pour l’instruction de ma demande en obtention du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 ». Dans la mesure où le procès-verbal d’audition signé par le demandeur renseigne ainsi clairement que le demandeur avait été informé de son droit de se faire assister par un avocat de son choix, le moyen tiré de la violation de l’article 5 précité manque en fait et est partant à écarter.

Quant au fond de sa demande d’asile, le demandeur, originaire du Monténégro et de confession musulmane, expose que la police militaire serait venue le chercher au mois 2 d’avril 1999 pour le convoquer à la réserve militaire, mais qu’il aurait refusé de faire la réserve, étant donné que les Musulmans seraient envoyés en première ligne et qu’ils ne bénéficieraient pas des mêmes droits que les Serbes. En complément à ses déclarations faites lors de son audition, le demandeur soutient que des raisons de conscience, de conviction religieuse et d’appartenance ethnique, tenant notamment à sa peur de devoir mener une guerre d’agression contre les Musulmans du Kosovo, auraient également motivé son refus d’intégrer la réserve. Il fait valoir qu’il serait considéré comme déserteur dans son pays d’origine et risquerait d’être condamné à une peine d’emprisonnement très longue et d’être exposé à des persécutions personnelles dues à sa conviction religieuse et à son appartenance ethnique.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 9 novembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur FRANCA, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A,2. de la Convention de Genève.

En outre, le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait qu’il n’est pas établi qu’actuellement ce dernier risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient encore de relever que le demandeur n’établit pas à suffisance qu’une condamnation serait 3 encore susceptible d’être prononcée à son encontre du chef de sa prétendue insoumission, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Le moyen du demandeur tiré de son appartenance ethnique s’analyse en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. En effet, le demandeur a déclaré personnellement lors de son audition qu’il avait « peur de la police et de la police militaire » en raison de sa désertion et qu’il n’avait pas fait l’objet de persécutions personnelles.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13322
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13322 ?

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