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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13312

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13312


Tribunal administratif N° 13312 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13312 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, assistée de Maître Katia AÏDARA, a

vocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC,...

Tribunal administratif N° 13312 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13312 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître Christiane HOFFMANN, avocat à la Cour, assistée de Maître Katia AÏDARA, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 12 janvier 2001, notifiée le 7 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 14 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Katia AÏDARA, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 12 avril 1999, Monsieur … SABOTIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur SABOTIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu le 14 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 12 janvier 2001, notifiée le 7 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 12 avril 1999 vers 8.00 heures.

Vous exposez avoir reçu un appel pour le service militaire en mars 1999. Vous n’auriez pas répondu à cet appel.

Selon vos opinions, l’armée yougoslave serait venue au Kosovo pour cambrioler, pour voler et pour tuer. Vous croyez que vous auriez été obligé de tuer des gens ou que vous auriez été tué vous-même.

Vous indiquez qu’il n’y a plus d’autorités yougoslaves dans le Kosovo qui pourraient sanctionner les insoumis.

Une autre raison de votre fuite aurait été le début de la guerre.

Vous invoquez ne plus pouvoir retourner, étant donné que tous vos biens auraient été détruits par les Albanais et par l’UCK. Les Albanais mèneraient une politique d’épuration ethnique envers les Serbes et les musulmans.

Vous n’auriez pas subi de persécutions personnelles.

Vous ajoutez que vous auriez peur parce que vous ne parlez pas l’albanais.

Force est cependant de constater que le conflit armé au Kosovo s’est terminé en mai 1999. Une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée au Kosovo et une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, a été mise en place. La situation des minorités ethniques du Kosovo s’est améliorée par rapport à l’année 1999. Les élections municipales du 28 octobre 2000 se sont conclues avec la victoire des partis modérés et une défaite des partis extrémistes. Ainsi une persécution systématique de minorités ethniques est actuellement à exclure.

De même, les Albanais du Kosovo ne sauraient être considérés comme agents de persécution au sens de la Convention de Genève.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité. Vous déclarez cependant que vous n’avez pas personnellement subi des persécutions. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

2 Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 7 mars 2001, Monsieur SABOTIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 12 janvier 2001.

Par décision du 14 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 avril 2001, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 12 janvier et 14 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Kosovo, de confession musulmane, qu’il fait partie de la minorité « bochniaque » du Kosovo, qu’il aurait quitté sa région natale en raison de l’appel à l’armée vers la mi-mars 1999, de sorte qu’il serait à considérer comme insoumis et qu’il risquerait de ce fait une lourde peine d’emprisonnement.

Il fait ajouter que la totalité de ses biens aurait été détruite par les Albanais et l’UCK qui mèneraient une politique d’épuration ethnique à l’encontre des Serbes et des musulmans.

Finalement, le demandeur estime encore que la situation d’après-guerre demeurerait très instable en Yougoslavie malgré la présence d’une force internationale.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions entreprises pour violation de la loi et pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur SABOTIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait 3 de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur SABOTIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur SABOTIC lors de son audition en date du 14 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance du demandeur d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de son départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que, suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place. Il suit du constat qui précède que, dans la région du Kosovo, le demandeur n’a, à l’heure actuelle, pas de raison de craindre une persécution de la part des autorités serbes.

Il convient d’ajouter que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il ne saurait en être autrement qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p.113, nos. 73-s).

4 En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « bochniaques », il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

Il y a lieu d’ajouter dans ce contexte, qu’une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Or, en l’espèce les craintes exprimées par le demandeur en raison de la prétendue hostilité des Albanais à son égard en raison de son appartenance à la minorité « bochniaque » et de la situation générale tendue dans sa région d’origine, s’analysent, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève.

En effet, dans son recours contentieux, le demandeur fait essentiellement état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre, à savoir des représailles ou mauvais traitements de la part de membres de la population albanaise, mais il ne démontre point que les autorités administratives chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Kosovo, aucun fait concret et circonstancié de nature à établir un défaut caractérisé de protection de la part des autorités actuellement en place n’ayant été allégué ni, a fortiori établi en cause.

A cela s’ajoute que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent essentiellement autour de la situation au Kosovo, et que le demandeur reste en défaut d’établir qu’il ne peut trouver refuge, à l’heure actuelle, dans une autre partie de son pays d’origine, notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale. - Ceci étant, il convient d’ajouter relativement au motif fondé sur l’insoumission de Monsieur SABOTIC, particulièrement dans l’optique d’une possibilité de fuite interne, qui implique l’obligation pour le demandeur ne se replacer sous l'autorité des organes fédéraux yougoslaves, que l’insoumission n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait à elle seule fonder dans le chef de Monsieur SABOTIC une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine pour un des motifs prévus par la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que la condamnation de Monsieur SABTIC risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d'ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard d’insoumis, Monsieur SABOTIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la 5 République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13312
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13312 ?

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