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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13307

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13307


Tribunal administratif N° 13307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … TUTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13307 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a

vocats à Diekirch, au nom de Monsieur … TUTIC, né le … à Boljanina, Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavi...

Tribunal administratif N° 13307 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … TUTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13307 et déposée au greffe du tribunal administratif le 19 avril 2001 par Maître François GENGLER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … TUTIC, né le … à Boljanina, Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-

…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 2 janvier 2001, notifiée le 20 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître François GENGLER, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 22 mars 1999, Monsieur … TUTIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur TUTIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 27 septembre 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 2 janvier 2001, notifiée le 20 février 2001, le ministre de la Justice informa le demandeur de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit : « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre pays d’origine en mars 1999 pour vous rendre en Bosnie. Des passeurs vous ont conduit au Luxembourg en passant par l’Italie, l’Autriche et l’Allemagne. Vous êtes arrivé le 22 mars 1999 et votre demande en obtention du statut de réfugié date du même jour.

Vous exposez que la police militaire serait venue vous chercher en janvier 1999, mais que vous auriez réussi à vous cacher. Vous précisez que vous êtes simple membre du parti SDA depuis 1991. Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de la guerre et de la situation en Yougoslavie. Votre peur serait liée à votre appartenance religieuse. Enfin, vous admettez ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

La simple appartenance à un parti politique est insuffisante pour obtenir le bénéfice du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

2 Par lettre du 19 mars 2001, Monsieur TUTIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 2 janvier 2001.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 avril 2001, Monsieur TUTIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 2 janvier et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Le demandeur conteste en premier lieu la décision du ministre pour ne pas être suffisamment motivée en fait et en droit, en lui reprochant de ne pas indiquer des motifs suffisamment clairs et précis.

Ledit reproche est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation des décisions ministérielles attaquées ou de l’une d’entre elles, l’omission de l’obligation d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a prise entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commence pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter que le demandeur est resté en défaut d’apporter des éléments nouveaux dans son recours gracieux et c’est partant à bon droit que ledit ministre a pu se référer dans sa décision confirmative, à la motivation - exhaustive en fait et en droit - contenue dans la décision initiale.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de confession musulmane, et qu’il aurait résidé en dernier lieu à Tutin en Serbie. Il fait ajouter que la police serait venue le chercher en janvier 1999 pour faire la réserve mais qu’il n’aurait pas réservé une suite à cet appel au motif qu’il n’aurait pas voulu participer à la guerre qu’il considère comme « une guerre civile et nationaliste », de sorte qu’il risquerait à l’heure actuelle d’être puni comme insoumis à une lourde peine de prison. Le demandeur ajoute encore que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions en raison, d’une part, du fait qu’il aurait été membre du parti politique d’opposition « SDA » depuis 1991, d’autre part, de son appartenance au groupe national monténégrin et de sa religion musulmane, et de troisième part, de la situation politique en Yougoslavie et du régime de Milosevic en place à l’époque.

En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en relation avec son insoumission, ses origines et sa religion musulmane, ses activités politiques, ainsi que la situation générale en 3 Yougoslavie qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur TUTIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur TUTIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur TUTIC lors de son audition du 27 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur TUTIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur TUTIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des 4 raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur TUTIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur, tirées d’un article paru au journal « Vesti » en date 13 mars 2001, relatant qu’un ancien sous-officier de l’armée populaire de Yougoslavie aurait été arrêté à cause de sa désertion, document qui ne saurait en tout état de cause être retenu comme étant suffisant pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés mais qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’aurait pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Concernant les craintes de persécutions en raison des activités politiques de Monsieur TUTIC et de son appartenance au parti politique « SDA », il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que le demandeur n’a fait état ni d’un rôle actif au sein dudit parti ni encore d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de ladite appartenance politique.

Concernant par ailleurs les craintes de persécutions du demandeur en raison de ses origines et de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine, il échet de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n'ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13307
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13307 ?

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