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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13301

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13301


Numéro 13301 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … AVDIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13301 du rôle, déposée le 17 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté

de Maître Aurélia FELTZ, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocat...

Numéro 13301 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 17 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001 Recours formé par Monsieur … AVDIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13301 du rôle, déposée le 17 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Aurélia FELTZ, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AVDIC, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 janvier 2001, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 14 mars 2001 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Aurélia FELTZ et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2001.

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Le 24 août 1999, Monsieur … AVDIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur AVDIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur AVDIC fut entendu en date du 18 octobre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur AVDIC, par décision du 4 janvier 2001, notifiée en date du 30 janvier 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 27 février 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 14 mars 2001, Monsieur AVDIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 4 janvier et 14 mars 2001 par requête déposée le 17 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur, originaire du Kosovo et de confession musulmane, expose avoir été contraint de quitter son pays d’origine afin d’échapper à « l’incorporation de l’armée yougoslave » qu’il n’aurait pas pu accepter au vu des atrocités commises par cette dernière. Il soutient que cet acte d’insoumission et le départ de son pays d’origine au moment d’être appelé aux armes seraient considérés comme crimes graves et sanctionnés de peines disproportionnées, de sorte qu’en cas de retour il risquerait d’être poursuivi, arrêté et traduit devant un tribunal militaire pour subir une condamnation sévère.

Il ajoute qu’il se verrait empêché dans son pays d’origine de pratiquer librement sa religion musulmane sans crainte de représailles. Quant à la situation générale en Yougoslavie, le demandeur fait valoir que la venue au pouvoir d’un nouveau président ne serait pas une garantie de paix et que la situation actuelle serait plutôt marquée par des affrontements aux frontières du Kosovo. Il renvoie plus particulièrement aux agissements des extrémistes de l’armée de libération des Albanais de Macédoine et des rebelles albanais de l’armée de libération de Presevo-Medvedja-Bujanovac qui ne manqueraient pas de provoquer un nouveau conflit armé avec les Serbes. Dans la mesure où le risque d’une guerre interne serait ainsi loin d’être banni, le demandeur estime qu’il serait probablement forcé à participer, en dépit de ses raisons de conscience et sa crainte pour sa vie, à des actions militaires au sein de l’armée yougoslave en cas de retour dans son pays d’origine. Il reproche au ministre un examen superficiel et insuffisant des faits et soutient que les faits prérelatés traduiraient dans son chef l’existence d’une crainte réelle de persécution dans son pays d’origine.

2 Le délégué du Gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 18 octobre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A,2. de la Convention de Genève. En outre, il n’est pas établi à suffisance de droit qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites 3 pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Le renvoi par le demandeur à la situation générale instable dans son pays d’origine s’analyse en l’expression d’un sentiment général d’insécurité, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours principal en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 décembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13301
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13301 ?

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