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10/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13218

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 décembre 2001, 13218


Tribunal administratif N° 13218 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … KUKULJAC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13218 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats Ã

  Luxembourg, au nom de M. … KUKULJAC, né le … à Brodarevo (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement...

Tribunal administratif N° 13218 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 10 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … KUKULJAC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13218 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … KUKULJAC, né le … à Brodarevo (Serbie/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 novembre 2000, notifiée le 22 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 29 janvier 1999, Monsieur … KUKULJAC, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur KUKULJAC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut ensuite entendu en date du 30 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 21 novembre 2000, notifiée le 22 janvier 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Vous exposez que vous avez été convoqué pour la réserve au mois d’octobre 1998. Vous dites que lorsque la police militaire serait venue pour vous emmener par la force, vous auriez pris la fuite en sautant du deuxième étage de votre maison. Vous affirmez que vous ne vouliez pas aller à la réserve parce que vous ne vouliez pas tuer vos compatriotes. Et puis vous ne vouliez pas être tué vous-même.

Il résulte également de vos déclarations que vous êtes membre actif du parti SDA et qu’en cette qualité vous déteniez des armes illégalement pour le cas où la guerre devrait éclater. Vous dites que la police militaire aurait trouvé lesdites armes lors de la perquisition de la maison et que vous risquez d’être jugé à votre retour pour détention illégale d’armes.

Vous exposez par ailleurs que vous vous faisiez maltraiter par les Serbes à chaque fois que vous alliez prendre des provisions pour votre magasin à quelques kilomètres de votre domicile. D’une manière générale vous prétendez qu’il n’y a pas de place pour les musulmans dans votre pays d’origine.

Je me dois tout d’abord de constater que l’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

J’ajoute qu’une situation de paix s’est installée dans la région et il n’est pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée fédérale yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

En ce qui concerne la situation particulière des ressortissants de confession musulmane dans votre pays d’origine, je signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

En l’espèce, le seul fait de détenir des armes et d’avoir subi en raison de ce fait, une perquisition policière, n’est pas de nature à justifier la crainte, dans le chef du demandeur d’asile, d’être persécuté pour un des motifs énumérés par l’article 1er, A., § 2 de la Convention de Genève.

Il ne résulte pas non plus de vos autres allégations, qui ne sont d’ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez dans votre pays d’origine une persécution rentrant dans le champ d’application de la prédite Convention.

2 Je souligne par ailleurs qu’en octobre de cette année le régime politique vient de changer en République Fédérale de Yougoslavie par la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement et qu’un nouveau gouvernement vient d’être mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La République Fédérale de Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par sa réadmission à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent, vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi, une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 22 février 2001, Monsieur KUKULJAC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 21 novembre 2000.

Par décision du 8 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 10 avril 2001, Monsieur KUKULJAC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 21 novembre 2000 et 8 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur conclut à la réformation des décisions querellées « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de son recours, il fait exposer qu’il est originaire de la ville de Brodarevo en Serbie et de confession musulmane et qu’il aurait fait l’objet de persécutions « en raison de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou d’une croyance religieuse », qu’en octobre 1998, il aurait reçu un appel de mobilisation de l’armée fédérale yougoslave qu’il aurait accepté et que trois jours plus tard, la police militaire serait venue pour l’amener de force, qu’il se serait néanmoins enfui en sautant du deuxième étage de sa maison, qu’il n’aurait pas voulu donner suite à l’appel pour ne pas devoir participer à des actions militaires contraires à ses convictions politiques et pour des raisons de conscience, qu’un retour dans son pays d’origine l’exposerait à une arrestation et à un emprisonnement, que la peine de prison qu’il serait susceptible d’encourir risquerait d’être d’une durée excessive et manifestement 3 disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction et que la loi d’amnistie récemment votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation, étant donné que l’insoumission serait une infraction continue et que, pour tomber dans le champ d’application de ladite loi, il aurait fallu que son infraction ait cessé avant le 7 octobre 2000, ce qui ne serait pas le cas au motif qu’il n’est pas rentré en Yougoslavie avant cette date.

Il fait encore état du cas d’un sous-officier de l’armée fédérale qui aurait déserté de ladite armée et qui aurait été arrêté et emprisonné. Enfin, le demandeur ajoute ne pas avoir la possibilité de trouver refuge dans une autre partie du territoire yougoslave.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KUKULJAC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur KUKULJAC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KUKULJAC lors de son audition en date du 30 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant l’unique motif de persécution dont le demandeur fait état dans son recours contentieux, à savoir son insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa 4 nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur KUKULJAC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur KUKULJAC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Concernant l’allégation relative à une non application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par le demandeur par référence à un prétendu cas de non-application de la loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Finalement concernant les craintes de persécution du demandeur en raison de la situation générale en Yougoslavie et les craintes de représailles non autrement spécifiées en raison de sa religion musulmane, force est de constater que ces faits sont insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que le demandeur, considéré individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

5 Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 10 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13218
Date de la décision : 10/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-10;13218 ?

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