Tribunal administratif N° 13402 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 4 mai 2001 Audience publique du 6 décembre 2001
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Recours formé par Monsieur et Madame … SABOTIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13402 et déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2001 par Maître James JUNKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Frédérique BARETTI, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … SABOTIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bijelo Polje, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-
Paul REITER en ses plaidoiries.
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En date du 11 février 1998, M. … SABOTIC et son épouse, Mme … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
1 Les époux SABOTIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité, l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg et la durée de leur séjour au Luxembourg.
M. SABOTIC fut entendu en dates des 11 février et 6 mai 1998 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile. Mme … fut entendue aux mêmes fins le 13 février 1998.
Par décision du 24 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous Monsieur, vous êtes au Luxembourg depuis le 18 novembre 1996. Vous, Madame, vous êtes au Luxembourg depuis le 20 décembre 1997. Tous les deux vous n’avez demandé l’asile que le 11 février 1998.
Monsieur, vous exposez être sûr de devoir aller en prison en cas de retour en Yougoslavie. Vous restez en défaut de justifier pour quelles raisons vous avez cette crainte.
Vous auriez peur de l’Etat et de la police. Vous expliquez que votre peur serait liée à vos opinions politiques et religieuses. Vous déclarez cependant dans la même audition que la politique ne vous intéresse pas.
Vous indiquez avoir été maltraité par un policier en 1993 parce que vous étiez sympathisant du SDA.
Vous auriez également eu des problèmes avec la police qui vous soupçonnait de posséder des armes. Il se serait avéré que vous étiez victime d’une confusion. En effet, quelqu’un ayant le même nom que vous aurait détenu une arme. On vous aurait laissé tranquille par la suite.
Vous invoquez encore une querelle entre votre père et des Serbes portant sur un terrain.
Vous déclarez être prêt à retourner en Yougoslavie si la situation s’y améliorait.
Madame, vous exposez que votre mari devrait peut-être aller en prison. Vous ne précisez pas pour quelles raisons il risquerait d’être emprisonné. Vous auriez peur de la police et de l’Etat. Vous confirmez les déclarations de votre mari en ce qui concerne les événements de l’année 1993. Vous indiquez que votre maison a été perquisitionnée par la police à deux ou trois reprises après la fuite de votre mari. Vous auriez été injuriée par les policiers à cette occasion.
Force est cependant de constater que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie a retrouvé sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et a l’OSCE.
2 Il ne ressort pas de vos déclarations que vous auriez été dans une position particulièrement exposée en raison de vos opinions et activités politiques. En fait, vous affirmez ne pas vous intéresser à la politique.
Les problèmes que vous auriez eus avec la police en 1993 n’existent plus, étant donné que la police vous a laissé tranquille jusqu’à votre départ selon vos propres déclarations. Le conflit dans lequel était impliqué votre père concernant un terrain relève plutôt du droit commun et ne saurait entrer dans le champ d’application de la Convention de Genève.
En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité.
Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par ailleurs, la situation générale dans le pays d’origine d’un demandeur d’asile ne saurait être suffisante pour justifier l’octroi du statut de réfugié.
Par conséquent vous n’alléguez tous les deux aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».
Par lettre du 16 mars 2001, les époux SABOTIC-…, agissant tant en leur nom personnel qu’en celui de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 24 janvier 2001.
Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
Par requête déposée en date du 4 mai 2001, les consorts SABOTIC-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 24 janvier et 3 avril 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.
Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en raison d’une crainte des autorités policières, qui se seraient obstinées à suspecter M.
SABOTIC de trafic d’armes, uniquement en raison « de son soutien et de son attirance politique pour le parti du SDA », que le récit de M. SABOTIC relativement à cette 3 persécution policière serait cohérent et qu’on ne saurait lui reprocher un défaut de production de pièces, pareille exigence étant impossible à satisfaire.
Dans un deuxième ordre d’idées, les demandeurs font état de leur expropriation de leur maison d’habitation par les autorités serbes et ils font soutenir que cet élément serait objectivement d’une gravité suffisante pour justifier la reconnaissance du statut de réfugié, comme l’aurait déjà reconnu la commission consultative pour les réfugiés, qui, à l’époque, a requis un complément d’instruction sur ce point.
Concernant la situation générale dans leur pays d’origine, les demandeurs font état de ce que, bien que la guerre du Kosovo soit terminée, la situation générale en Yougoslavie resterait instable et que des conflits inter-ethniques seraient toujours à l’ordre du jour.
Sur ce, ils concluent à la réformation des décisions entreprises, au motif que le ministre aurait conclu à tort que les faits dont ils ont fait état ne justifieraient pas la reconnaissance du statut de réfugié.
Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts SABOTIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.
Concernant le bien fondé de la demande d’asile, il ressort de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, que le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux SABOTIC-….
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux SABOTIC-… lors de leurs auditions respectives, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, 4 de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, concernant le premier motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir les persécutions subies en raison de l’appartenance et de l’«attirance » politique de M.
SABOTIC, il convient de retenir que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que les demandeurs ont certes allégué une obstination et des brutalités policières injustifiées et condamnables, qui se seraient déroulés au cours de l’année 1993, ils n’ont cependant pas établit qu’à l’heure actuelle, en cas de retour dans leur pays d’origine, leur vie y serait, à raison, intolérable en raison de son appartenance politique, étant entendu que lors de ses auditions, M. SABOTIC a déclaré que si les exactions policières auraient perduré pendant plusieurs mois, tel n’aurait cependant plus été le cas par la suite, alors qu’on l’aurait « laissé tranquille jusqu’ [à son] (…) départ ».
En ce qui concerne la situation générale instable dans le pays d’origine des demandeurs et la prétendue expropriation de leur maison d’habitation, il convient de prime abord de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ. - En ce qui concerne cette situation actuelle, il est indéniable que depuis le départ des demandeurs, la situation politique en Yougoslavie s’est considérablement modifiée et qu’un processus de démocratisation est en cours. Ceci étant, les demandeurs n’ont pas fait état d’un motif qui, à l’heure actuelle, leur laisserait craindre avec raison une persécution de la part des autorités actuellement au pouvoir. Il convient d’ajouter que s’il est vrai qu’une expropriation de leur maison d’habitation en raison d’un des motifs visés par la Convention de Genève serait d’une gravité indéniable, il n’en reste pas moins qu’en l’espèce, d’une part, il n’est pas établi qu’il s’agissait d’une expropriation motivée pour un des motifs visés par ladite convention et, d’autre part, même si tel avait été le cas ce fait ne saurait constituer une raison suffisante justifiant à l’heure actuelle que les demandeurs ne puissent pas se réclamer de la protection des autorités nouvellement en place en Yougoslavie ou que celles-
ci ne soient pas capables de leur assurer un niveau de protection suffisant.
Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.
La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour un demandeur n’est ni présent, ni représenté à l’audience de plaidoiries, est indifférent. Comme les demandeurs ont pris position par écrit par le fait de déposer leur requête introductive d’instance, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.
Par ces motifs, 5 le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;
reçoit le recours en la forme;
au fond, le déclare non justifié et en déboute;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 6 décembre 2001, par le vice-président, en présence de M.
Legille, greffier.
s. Legille s. Ravarani 6