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03/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13438

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 décembre 2001, 13438


Tribunal administratif N° 13438 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2001 Audience publique du 3 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … SABOTIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13438 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale PETOUD

, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … SABO...

Tribunal administratif N° 13438 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 mai 2001 Audience publique du 3 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … SABOTIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13438 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2001 par Maître Albert RODESCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Pascale PETOUD, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … SABOTIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Berane, de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-… tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 8 novembre 2000, notifiée le 1er mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 18 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pascale PETOUD ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 26 novembre 2001.

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En date du 22 septembre 1998, les époux … SABOTIC et … … introduisirent auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux SABOTIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 23 août 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile par un agent du ministère de la Justice.

Par décision du 8 novembre 2000, notifiée le 1er mars 2001, le ministre de la Justice informa les époux SABOTIC-… que leur demande avait été rejetée aux motifs que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que par ailleurs le régime politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement ainsi qu’avec la mise en place d’un nouveau gouvernement en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime.

Par courrier de leur mandataire datant du 30 mars 2001, les époux SABOTIC-… firent introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 8 novembre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 18 avril 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles prévisées des 8 novembre 2000 et 18 avril 2001 par requête déposée en date du 11 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires de la ville de Berane au Monténégro et de confession musulmane. Ils relèvent que Monsieur SABOTIC aurait effectué son service militaire en 1993/94 à Prizren, Pirot et Leskovac au sein de l’armée fédérale, qu’en 1998 il aurait reçu deux convocations pour intégrer la réserve, mais que par crainte d’être de nouveau convoqué, voire emmené de force, il aurait préféré fuir le pays avec sa famille. Il fait valoir que dans la mesure où son abstention de rejoindre l’armée fédérale aurait été motivée par son appartenance à la minorité des Musulmans ainsi qu’au fait qu’il aurait refusé de tuer des gens, et qu’en raison de cette insoumission il risquerait d’encourir, en cas de retour dans son pays d’origine, une peine de deux ans d’emprisonnement, ce serait à tort que le ministre a refusé de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention de Genève. Les demandeurs ajoutent que Monsieur SABOTIC aurait été membre du parti politique SDA regroupant les Musulmans dans le but de défendre leurs intérêts et que certains membres de ce parti politique auraient fait l’objet d’arrestations, de mauvais traitements et d’emprisonnement en raison de leurs opinions politiques, de sorte qu’en raison de cette activité politique, il serait encore à considérer comme entrant dans les prévisions de la Convention de Genève. Quant à Madame …, les demandeurs font valoir qu’elle aurait subi des discriminations de la part d’un médecin, qui, lors d’une grossesse, ne lui aurait pas prodigué les soins adéquats, ce qui se serait soldé par la perte des enfants qu’elle portait. Ils relèvent en outre que Madame … ayant été victime d’un accident de la circulation sur la voie publique en date du 24 novembre 2000, il lui serait à l’heure actuelle toujours impossible de retourner dans son pays étant donné 2 qu’il y existerait un fort risque pour qu’elle ne puisse pas être traitée médicalement avec tous les soins nécessaires.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux SABOTIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux SABOTIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 23 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur SABOTIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, A.2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur SABOTIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de 3 plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur SABOTIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant les craintes de persécutions en raison des activités politiques de Monsieur SABOTIC, il convient de retenir que les allégations afférentes ne sont pas très crédibles, étant donné que lors de leurs auditions initiales, aucun des époux SABOTIC-… n’a fait état d’une telle activité ou crainte, mais, au contraire, Monsieur SABOTIC a formellement déclaré ne jamais avoir été membre d’un parti politique. - En outre, si les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il y a lieu de constater que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison des prétendues activités politiques de Monsieur SABOTIC au sein du parti « SDA ».

Concernant par ailleurs les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur pays d’origine, il échet de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

En effet, les événements relatés par les demandeurs relatifs à la grossesse de Madame … laissent d’être suffisamment précis pour emporter la conviction du tribunal relativement à l’existence d’une discrimination équivalente à une persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef, étant donné que les raisons médicales ayant causé la perte des enfants n’ont pas été précisées en cause, et que, même à admettre qu’il y ait eu une négligence professionnelle dans le chef du premier médecin traitant de Madame …, cet événement, aussi tragique qu’il peut paraître par ailleurs, ne saurait à lui seul justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef, étant donné qu’il n’est pas de nature à établir que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre public en place au Monténégro encourageraient des discriminations éventuelles et ne soient pas disposées à les réprimer de manière adéquate.

Enfin, les problèmes de santé de Madame …, dus à son accident au Luxembourg, ne sauraient justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’ils ne sont pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention et qu’il n’est par ailleurs pas établi qu’un suivi médical lui soit refusé dans son pays d’origine pour une des raisons prévues par la Convention de Genève.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, 4 le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13438
Date de la décision : 03/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-03;13438 ?

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