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03/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13394

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 décembre 2001, 13394


Tribunal administratif N° 13394 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 3 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … DURAKOVIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13394 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Aurélia FELTZ

, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … DURAK...

Tribunal administratif N° 13394 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 3 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … DURAKOVIC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13394 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001 par Maître Michel MOLITOR, avocat à la Cour, assisté de Maître Aurélia FELTZ, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom des époux … DURAKOVIC, né le … à Berane (Monténégro/Yougoslavie), et … …, née le … à Berane, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs deux enfants mineurs … DURAKOVIC, né le … à Berane et … DURAKOVIC, née le … à Berane, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Madame le délégué du Gouvernement Malou HAMMELMANN en ses plaidoiries à l’audience publique du 26 novembre 2001.

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En date du 22 juin 1999, Madame … …, épouse DURAKOVIC, accompagnée de ses deux enfants mineurs … et … DURAKOVIC, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Madame DURAKOVIC-… fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Elle fut en outre entendue en date du 24 septembre 1999 sur les motifs à la base de sa demande d’asile par un agent du ministère de la Justice.

Le 31 mars 2000, son époux, Monsieur … DURAKOVIC, se présenta à son tour devant le service compétent du ministère de la Justice pour introduire une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève. Il fut entendu en date du même jour sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi qu’en date du 8 décembre 2000 sur les motifs à la base de sa demande d’asile par un agent du ministère de la Justice.

Par décision du 15 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux DURAKOVIC-… que leurs demandes avaient été rejetées au motif que la désertion de Monsieur DURAKOVIC ne serait pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié et que, par ailleurs, le conflit armée entre l’ex-Yougoslavie et le Kosovo serait terminé et qu’une situation de paix se serait installée dans la région, de sorte qu’il ne serait pas établi que l’accomplissement de la réserve au sein de l’armée fédérale yougoslave imposerait actuellement la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser et que la mauvaise situation politique et économique au Monténégro aurait trait à la situation générale du pays d’origine sans qu’il ne soit établi que leur situation particulière serait telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par courrier de leur mandataire datant du 14 mars 2001, les époux DURAKOVIC-… introduisirent un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 janvier 2001.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 3 mai 2001, les consorts DURAKOVIC-… ont fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre des décisions prévisées du ministre de la Justice des 15 janvier et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs font exposer qu’ils sont de confession musulmane et que pour échapper à l’incorporation à l’armée yougoslave après y être resté une première fois durant plus ou moins un mois, Monsieur DURAKOVIC aurait été contraint de quitter son pays, étant donné que pour des raisons évidentes et compréhensibles d’éthique et 2 de morale, il n’aurait plus pu accepter d’être enrôlé dans une armée qui commettait des actes de violence et de barbarie les plus atroces. Ils font valoir en outre qu’en raison de son appartenance à la population musulmane, Monsieur DURAKOVIC n’aurait plus pu pratiquer librement sa religion sans craindre des représailles, de sorte que, par crainte pour sa personne notamment en raison du fait qu’il aurait figuré sur la liste des réservistes, il aurait préféré fuir son pays. Dans la mesure où Monsieur DURAKOVIC aurait ainsi commis un acte d’insoumission, les demandeurs font valoir qu’il serait très probable qu’il soit poursuivi par les autorités locales, arrêté et traduit devant un tribunal militaire où les droits de la défense seraient certainement ignorés, pour ensuite être condamné très sévèrement pour cet acte d’insoumission. Ils relèvent que leur crainte afférente serait accentuée par le fait qu’en tant que président de la section de Petnica du parti politique « LSCG », Monsieur DURAKOVIC aurait été un membre actif dudit parti du Monténégro jusqu’en 1995. Au-delà des faits ainsi relevés, les demandeurs se réfèrent aux événements ayant secoué la Yougoslavie ces derniers temps pour soutenir que les changements politiques récents ne seraient pas une garantie de paix et qu’à l’heure actuelle des troubles importants marqueraient encore leur pays d’origine. Ils se réfèrent plus particulièrement aux tensions au Kosovo pour soutenir que le conflit armé entre l’ex-Yougoslavie et ladite province serait loin d’être terminé et qu’actuellement l’armée imposerait encore la participation à des actions militaires auxquelles Monsieur DURAKOVIC devrait également se soumettre en cas de retour au pays.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission et les activités politiques de Monsieur DURAKOVIC, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts DURAKOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm.

2001, V° Recours en réformation, n° 11).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux DURAKOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date des 24 septembre 1999 et 8 décembre 2000, telles que 3 celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur DURAKOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, (section A, 2. ), de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur DURAKOVIC risquait ou risque encore de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risquerait d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur DURAKOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant les craintes de persécutions en raison des activités politiques de Monsieur DURAKOVIC force est de constater que même si les activités dans un parti d’opposition peuvent le cas échéant justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné qu’il y a lieu de constater que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison des prétendues activités politiques de Monsieur DURAKOVIC au sein du parti « LSCG ». En effet, les problèmes afférents allégués au cours de son service militaire sous forme notamment de provocations par des soldats ivres ne revètent pas une gravité suffisante pour être considérés comme des actes de persécution au sens de la Convention de Genève.

Concernant par ailleurs les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur pays d’origine, il échet de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

4 Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

La procédure devant les juridictions administratives étant essentiellement écrite, le fait que l’avocat constitué pour les demandeurs n’a été ni présent, ni représenté à l’audience à laquelle l’affaire fut plaidée, est indifférent. Comme les demandeurs ont déposé une requête introductive d’instance, le jugement est rendu contradictoirement entre parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Spielmann, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13394
Date de la décision : 03/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-03;13394 ?

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