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03/12/2001 | LUXEMBOURG | N°13389

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 03 décembre 2001, 13389


Tribunal administratif N° 13389 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 3 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13389 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001 par Maître Carine FEIPEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra WIETOR, avocat, toutes le

s deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … ...

Tribunal administratif N° 13389 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 3 décembre 2001

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Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13389 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001 par Maître Carine FEIPEL, avocat à la Cour, assisté de Maître Sandra WIETOR, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … AGOVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sandra WIETOR, ainsi que Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 novembre 2001.

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En date du 29 juin 1999, Monsieur … AGOVIC introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur AGOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 1er juillet 1999, Monsieur AGOVIC fut entendu en outre par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 janvier 2001, notifiée le 16 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur AGOVIC de ce que sa demande avait été refusée au motif que ni l’insoumission, ni la désertion de la réserve de la police par lui invoquées ne seraient suffisantes pour justifier une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève dans son chef et que les provocations par lui avancées ne seraient pas non plus de nature à constituer une crainte justifiée de persécution pour un des motifs énoncés par ladite Convention.

A l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 15 janvier 2001, Monsieur AGOVIC fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 16 mars 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 3 avril 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions prévisées des 15 janvier et 3 avril 2001 par requête déposée en date du 3 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de son recours Monsieur AGOVIC expose avoir effectué son service militaire de 1995 à 1996 à Pristina au Kosovo, ainsi que d’avoir été appelé à la réserve en avril 1999. Il fait valoir qu’il n’aurait pas donné suite à cet appel par crainte de répressions de la part de l’armée serbe à son égard, ainsi que par refus, en tant que musulman, d’être enrôlé dans une armée qui menait la guerre au Kosovo contre des musulmans. Le demandeur expose que malgré son refus de donner suite à l’appel, il aurait été attrapé dans la rue et emmené à la réserve de la police civile où il aurait fait un mois de service, mais que, stationné à la frontière du Monténégro où il y aurait eu des fusillades permanentes, il se serait enfui pour ne pas se faire tuer. Le demandeur estime que les décisions litigieuses méconnaîtraient la réalité et la gravité des persécutions auxquelles il serait exposé en cas de retour dans son pays, étant donné qu’en raison de sa confession musulmane, il serait soumis quotidiennement à l’oppression et à la persécution serbe. Le demandeur relève en outre avoir manifesté l’intention de fixer son principal établissement au Luxembourg, de manière à y avoir établi son domicile, pour soutenir que les décisions déférées porteraient atteinte à son droit au respect de son domicile privé. Il sollicite en outre que son recours soit assorti du bénéfice de l’effet suspensif pendant le délai et l’instance d’appel étant donné que l’exécution des décisions litigieuses risquerait de lui causer un préjudice grave et irréparable.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur AGOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social 2 ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur AGOVIC lors de son audition en date du 1er juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur AGOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur AGOVIC risque encore actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission, voire de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur AGOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant par ailleurs les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane et de la situation générale tendue dans son pays d’origine, il échet de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

3 Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations du demandeur basées sur le fait qu’il a son domicile au Luxembourg, faute pour ces dernières de rentrer dans les prévisions de la Convention de Genève.

Concernant la demande d’effet suspensif pendant le délai de l’instance d’appel formulée par le demandeur, force est encore de constater qu’au regard des dispositions de l’article 10, paragraphes 3 et 4 de la loi modifiée du 3 avril 1996 précitée, tant le recours devant le tribunal administratif que l’appel devant la Cour administrative ont un effet suspensif, de sorte que cette demande est à déclarer sans objet.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare la demande d’effet suspensif sans objet ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 3 décembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13389
Date de la décision : 03/12/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-12-03;13389 ?

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