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28/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13226

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2001, 13226


Tribunal administratif N° 13226 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 28 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … KALAC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13226 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2001 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Marc SCHIL

TZ, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … KALAC...

Tribunal administratif N° 13226 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 28 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … KALAC-…, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13226 et déposée au greffe du tribunal administratif le 11 avril 2001 par Maître Yvette HAMILIUS, avocat à la Cour, assistée de Maître Marc SCHILTZ, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … KALAC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Gornja Vrbica (Monténégro/Yougoslavie), tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 décembre 2000, notifiée le 19 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc SCHILTZ, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 31 octobre 2000, M. … KALAC et son épouse, Mme … … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux KALAC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent entendus séparément le 13 novembre 2000 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 6 décembre 2000, notifiée le 19 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux KALAC-… que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que vous auriez adhéré au SDA en novembre 1999. La police serait venue souvent chez vous pour vous poser des questions sur le parti et pour perquisitionner votre maison. Les policiers vous auraient battu quelques fois.

Vous pensez que la raison principale de ces visites était cependant le fait que votre fils se serait enfui, quand il a été appelé à la réserve.

Vous affirmez avoir peur en raison de votre religion et à cause des visites de la police.

Madame, vous déclarez que vous auriez quitté votre pays, parce que les musulmans n’y auraient pas le droit à la vie.

Vous relatez que la police ne vous aurait pas battu lors de la première visite ; elle vous aurait interrogée au sujet d’armes que votre fils aurait cachées. Quand les policiers seraient venus une seconde fois, vous auriez essayé de prendre la fuite et vous vous seriez alors cassé une jambe et un doigt. Après l’opération, vous auriez habité une autre maison.

Vous indiquez avoir peur de mauvais traitements à cause de vos blessures provenant de votre chute.

Vous déclarez enfin que la police serait venue uniquement en raison de votre fils et que vous n’auriez pas eu de problèmes avant son départ.

Madame, Monsieur, il ne se dégage pas de vos allégations, qui ne sont par ailleurs corroborées par aucun élément de preuve tangible, que vous risquiez ou risquez d’être persécutés pour l’un des motifs énumérés par la Convention de Genève.

En effet, même si les faits relatés ont trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle - même à les supposer établis - qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention.

Vous faites également référence à la situation de la minorité musulmane.

Or la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir concrètement que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention.

Vous ne faites valoir aucune raison personnelle de nature à justifier une telle crainte.

2 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 16 mars 2001, les époux KALAC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 6 décembre 2000.

Par décision du 3 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 11 avril 2001, les époux KALAC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 6 décembre 2000 et 3 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de religion musulmane et être originaires du Monténégro, qu’ils auraient quitté leur pays d’origine en raison « de sérieux problèmes avec la police civile et militaire de leur pays », que ces problèmes seraient survenus suite à l’insoumission de leur fils, lequel aurait refusé de rejoindre la réserve militaire et de participer à la guerre du Kosovo dirigée contre ses « frères de confession en révolte contre un régime qu’il réprouve », c’est-à-dire que son insoumission aurait été motivée par des « raisons religieuses et politiques ». Ils ajoutent qu’en raison de leur appartenance à la minorité musulmane de leur pays, ils seraient soumis à des traitements discriminatoires et à des persécutions inacceptables.

Sur ce, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir méconnu leur situation spécifique qui serait telle qu’en raison des faits ci-avant exposés, ils auraient été et, en cas de retour dans leur pays d’origine, ils seraient exposés à un risque de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

3 Ils font ajouter qu’il conviendrait de tenir compte de leur « grand âge » et du fait que quasiment toute leur famille séjournerait au Luxembourg et que plus aucun membre de leur famille ne se trouverait au Monténégro.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux KALAC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux KALAC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux KALAC-… lors de leurs auditions respectives en date du 13 novembre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, les problèmes que les demandeurs auraient connus en raison de l’état d’insoumission de leur fils et, plus particulièrement, des visites de la police civile ou militaire à sa recherche, qui les aurait menacés et même maltraités, à les supposer établis, constituent certainement des actes condamnables, mais ils ne sont pas d’une nature ou d’une gravité telle que la vie des demandeurs soit devenue insupportable dans leur pays d’origine. - Dans ce contexte, il convient d’ajouter que le délégué du gouvernement relève à bon droit que les infractions de désertion ou d’insoumission qui ont été commis à l’occasion de la guerre du Kosovo font l’objet d’une loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave, de sorte que le fils des demandeurs ne devrait plus faire l’objet de poursuites pénales voire que des jugements prononcés à son encontre de ce chef ne devraient plus être exécutés effectivement.

4 Ensuite, bien que le motif de persécution y afférent n’ait plus été repris dans le cadre de la procédure contentieuse, il convient de relever que la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition de la part de M. KALAC, en l’occurrence le « SDA », ne saurait justifier la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève, étant donné que les demandeurs n’ont fait état ni d’un rôle actif de la part de M. KALAC au sein dudit parti ni encore d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine, en raison de ladite appartenance politique.

En ce qui concerne les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur pays d’origine, ces craintes constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Enfin, il convient d’ajouter que ni l’âge des demandeurs ni le fait que leur famille se trouve installée au Luxembourg, respectivement qu’il n’y a plus de membre de leur famille qui demeure encore au Monténégro, ne sauraient avoir une incidence quant au bien fondé ou mal fondé de leur demande d’asile, seul objet du présent litige, étant donné qu’un tel état des choses n’est pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Il ressort des pièces déposées par les demandeurs au greffe du tribunal administratif en date du 11 avril 2001 que suivant une lettre du 8 mars 2001 du délégué à l’assistance judiciaire du bâtonnier de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, ils bénéficient de l’assistance judiciaire. Il échet partant de leur en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

donne acte aux demandeurs de ce qu’ils bénéficient de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13226
Date de la décision : 28/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-28;13226 ?

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