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28/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13220

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 28 novembre 2001, 13220


Tribunal administratif N° 13220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 28 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … NUMANOVIC-… et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13220 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau

de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … NUMANOVIC, né le … à Gosevo/Novi Pazar (Serbie/Yo...

Tribunal administratif N° 13220 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 28 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … NUMANOVIC-… et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13220 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … NUMANOVIC, né le … à Gosevo/Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Potreb/Tutin (Serbie), agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 23 octobre 2000, notifiée le 8 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 12 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 16 février 1999, M. … NUMANOVIC et son épouse, Mme … …, préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, 1 approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux NUMANOVIC-… furent entendus le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent ensuite entendus séparément en date du 17 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 23 octobre 2000, notifiée le 8 février 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté votre domicile de Novi Pazar le 15 février 1999 pour aller à Subotica. De là, une camionnette vous a emmenés en Hongrie et, ensuite, une seconde camionnette vous a conduits jusqu’au Luxembourg. Vous ne pouvez donner d’autres précisions quant au déroulement du voyage.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en Croatie en 1989/1990. Vous avez été appelé à la réserve le 10 février 1999. Quant vous vous êtes présenté, vous dites que la police militaire a confisqué votre passeport et vous a enjoint de revenir le 20 février. C’est à ce moment-là que vous auriez décidé de quitter votre pays car vous ne vouliez pas faire la guerre contre des gens avec lesquels vous aviez vécu en bonne intelligence pendant des années. Vous affirmez que vous risquez une peine de prison allant de sept à vingt ans.

Vous déclarez encore n’avoir jamais été membre d’un parti politique.

Vous reconnaissez n’avoir pas été personnellement victime de persécutions. Vous précisez que votre départ était en grande partie dû à la grossesse avancée de votre épouse.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari et vous confirmez aussi n’avoir subi personnellement aucune persécution.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Je dois donc constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays. En effet, une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social n’est pas établie.

2 Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 8 mars 2001, les époux NUMANOVIC-… introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 23 octobre 2000.

Par décision du 12 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée le 10 avril 2001, les époux NUMANOVIC-…, agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre des décisions précitées du ministre de la Justice des 23 octobre 2000 et 12 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs concluent à la réformation des décisions querellées « pour violation de la loi, sinon pour erreur manifeste d’appréciation des faits ».

A l’appui de leur recours, ils font exposer qu’ils sont originaires de la ville de Novi Pazar en Serbie et de confession musulmane et qu’ils auraient fait l’objet de persécutions « en raison de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou d’une croyance religieuse », que M. NUMANOVIC aurait reçu un appel de mobilisation de l’armée fédérale yougoslave et, plus particulièrement, pour effectuer son service à la réserve « de la police civile », mais qu’il n’y aurait pas donné suite pour ne pas devoir participer à des actions militaires contraires à ses convictions politiques et pour des raisons de conscience, qu’un retour dans leur pays d’origine exposerait M. NUMANOVIC à une arrestation et à un emprisonnement, que la peine de prison qu’il serait susceptible d’encourir risquerait d’être d’une durée excessive et manifestement disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction et que la loi d’amnistie récemment votée en Yougoslavie ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation, étant donné que l’insoumission serait une infraction continue et que, pour tomber dans le champ d’application de ladite loi, il aurait fallu que son infraction ait cessé avant le 7 octobre 2000, ce qui ne serait pas le cas au motif qu’il n’est pas rentré en Yougoslavie avant cette date. Il fait encore état du cas d’un sous-officier de l’armée fédérale qui aurait déserté de ladite armée et qui aurait été arrêté et emprisonné. Enfin, les demandeurs ajoutent ne pas avoir la possibilité de trouver refuge dans une autre partie du territoire yougoslave.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts NUMANOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux NUMANOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux NUMANOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 17 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir l’insoumission de M. NUMANOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

NUMANOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par 4 rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

NUMANOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit continue et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisées avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Concernant l’allégation relative à une non application concrète de ladite loi d’amnistie, illustrée par les demandeurs par référence à un prétendu cas de non-application de la loi d’amnistie, force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui en font l’objet, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).

Finalement concernant les craintes de persécution des demandeurs en raison de la situation générale en Yougoslavie et les craintes de représailles non autrement spécifiées en raison de leur religion musulmane, force est de constater que ces faits sont insuffisants pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir des traitements discriminatoires en raison de leur appartenance ethnique ou de leur religion ou que de tels traitements leur auraient été infligés dans le passé.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

5 au fond, le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 28 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13220
Date de la décision : 28/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-28;13220 ?

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