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27/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13392

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 novembre 2001, 13392


Tribunal administratif N° 13392 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 27 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … NURKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13392 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Peggy FRANTZEN, avocat, tous

les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NURKOVIC, né l...

Tribunal administratif N° 13392 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 3 mai 2001 Audience publique du 27 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … NURKOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13392 et déposée au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2001 par Maître Nicolas DECKER, avocat à la Cour, assisté de Maître Peggy FRANTZEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … NURKOVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 13 novembre 2000, notifiée le 21 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative du même décision prise sur recours gracieux et datant du 3 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 août 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 7 novembre 2001 par Maître Nicolas DECKER au nom de Monsieur … NURKOVIC ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport ainsi que Maître Philippe MARCHAL, en remplacement de Maître Nicolas DECKER, et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 novembre 2001.

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En date du 7 juillet 1999, Monsieur … NURKOVIC introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur NURKOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de la police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur NURKOVIC fut entendu en outre en date du 10 novembre 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 13 novembre 2000, notifiée le 21 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur NURKOVIC de ce que sa demande avait été rejetée au motif que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne serait pas constitutive d’un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

Monsieur NURKOVIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle prévisée du 13 novembre 2000 par courrier de son mandataire datant du 20 mars 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 3 avril 2001, il a fait introduire un recours contentieux tendant à la réformation des décisions ministérielles des 13 novembre 2000 et 3 avril 2001 prévisées par requête déposée en date du 3 mai 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro et de confession musulmane. Il soutient que ce serait à tort et en commettant une erreur d’appréciation que le ministre de la Justice a retenu que la désertion et la crainte de sanctions pénales ne seraient pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Dans ce contexte, il expose que la raison majeure de sa fuite aurait été le fait qu’il n’aurait voulu en aucun cas participer à la guerre, étant donné qu’elle aurait été dirigée contre les Musulmans et contre l’ensemble des peuples non serbes de l’ex-Yougoslavie, de sorte qu’il aurait dû se battre contre des siens. Il expose qu’une autre raison de sa fuite aurait été la mort tragique de son père qui aurait été assassiné par son oncle ainsi que le risque toujours existant dans son chef de devoir subir le même sort et d’être assassiné à son tour, étant donné que la famille de son père serait très hostile à l’égard de la famille NURKOVIC-…, ceci surtout depuis la condamnation de son oncle à huit ans d’emprisonnement du fait du meurtre du père du demandeur.

Il relève en outre qu’en tant que Musulman il n’aurait pas le choix de s’installer dans d’autres régions du Monténégro, étant donné qu’il y existerait une règle non écrite qui imposerait aux minorités de résider dans des régions spécifiques. Concernant sa situation d’insoumis, le demandeur relève qu’il serait exposé à des peines d’emprisonnement en cas de retour forcé dans son pays d’origine, ceci d’autant plus que la loi d’amnistie ne s’appliquerait pas à ceux qui par leur départ à l’étranger ont refusé de prendre les armes.

En substance, le demandeur reproche ainsi au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, sa religion musulmane, 2 ainsi que la situation générale des Musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur NURKOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur NURKOVIC lors de son audition en date du 10 novembre 2000, telle que celle-ci a été relatée dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que le demandeur risque encore actuellement de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient d’ajouter que si des condamnations à des peines 3 d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur NURKOVIC n’établit pas, au vue de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédéral, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant ensuite les craintes de persécution avancées par le demandeur en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans son pays d’origine, force est de constater qu’elles constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il échet encore de relever au sujet du risque de persécution par des membres de la famille du demandeur que les précisions afférentes fournies en cause ne sont pas de nature à établir l’existence d’un lien effectif avec l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. Par ailleurs, même à admettre l’existence d’un tel lien, le risque de persécution afférent émanerait non pas de l’Etat, mais de groupes de la population et ne pourrait être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié que si la personne en cause ne bénéficiait pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, le demandeur reste en défaut d’établir qu’il a concrètement recherché cette protection, voire que les autorités en place soient dans l’incapacité de lui offrir une protection appropriée, de sorte que le moyen afférent laisse également d’être fondé.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, 4 M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. Schmit s. Lenert 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13392
Date de la décision : 27/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-27;13392 ?

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