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26/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13251

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 novembre 2001, 13251


Tribunal administratif N° 13251 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 26 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13251 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc MEHLEN, avoca

t, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVI...

Tribunal administratif N° 13251 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 26 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … ADROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13251 du rôle, déposée le 12 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Marc MEHLEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 15 décembre 2000, notifiée le 6 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 14 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 juillet 2001 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au nom du demandeur au greffe du tribunal administratif le 3 août 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc MEHLEN, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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Le 21 mai 1999, Monsieur … ADROVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur ADROVIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Il fut en outre entendu en date du 28 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 15 décembre 2000, notifiée en date du 6 février 2001, le ministre de la Justice informa Monsieur ADROVIC de ce que sa demande avait été rejetée.

Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté Sarajevo en mai 1999 pour vous rendre en Italie. Un passeur vous a conduit au Luxembourg en passant par l’Italie sans que vous ne puissiez donner d’indications en ce qui concerne le trajet. Votre demande en obtention du statut de réfugié date du 21 mai 1999, le jour de votre arrivée.

Vous exposez qu’entre décembre 1998 et septembre 1999, vous auriez reçu quatre appels pour faire le service militaire auxquels vous n’auriez pas donné suite.

Vous dites risquer une peine d’emprisonnement en raison de votre insoumission. Votre peur de l’armée et de la prison s’expliquerait par le fait que vous êtes musulman. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécuté.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

L’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la prédite Convention. Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment pas son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par courrier de son mandataire du 26 février 2001, Monsieur ADROVIC forma un recours gracieux contre la décision ministérielle précitée du 15 décembre 2000.

Par décision du 14 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision antérieure du 15 décembre 2000.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 12 avril 2001, Monsieur ADROVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 15 décembre 2000 et 14 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions en raison de son insoumission, au motif qu’il aurait été appelé à quatre reprises entre le mois de décembre 1998 et le mois de septembre 1999 par l’armée fédérale yougoslave pour accomplir son service militaire et qu’il aurait refusé de donner une suite à ces appels de crainte pour sa vie et de devoir participer à des opérations contraires à ses convictions, c’est-à-dire des opérations menées contre des civils albanais étrangers au conflit et qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison longue et disproportionnée par rapport à la gravité de son infraction. Il estime par ailleurs que son appartenance à la communauté musulmane du Monténégro et la situation générale au Monténégro constitueraient un risque de persécution par les autorités au pouvoir dans son pays d’origine.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour absence de motivation et erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son insoumission, sa religion musulmane, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur ADROVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

C’est à tort que le demandeur reproche en premier lieu au ministre de la Justice de ne pas avoir motivé sa décision sur recours gracieux du 14 mars 2001 estimant que cette décision constituerait une « réponse standard », et que par ailleurs la décision du 15 décembre 2000 ne serait pas non plus motivée à suffisance, alors qu’il ressort du libellé de la décision du 15 décembre 2000, auquel s’est référé la décision confirmative du 14 mars 2001 pour faire partie intégrante également de cette deuxième décision, que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait sur lesquels il s’est basé pour justifier son refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit à la connaissance du demandeur.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm.

1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur ADROVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ADROVIC lors de son audition en date du 28 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur ADROVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur ADROVIC risque de devoir participer à l’heure actuelle à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur ADROVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion n’est pas énervée par les rapports et articles déposés par le mandataire du demandeur à l’appui du recours, documents qui ne sauraient en tout état cause être retenus comme étant suffisants pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle).

Concernant plus particulièrement la pièce documentant un appel à l’armée pour le 17 mai 2001, force est de constater que depuis cette date l’armée yougoslave n’est impliquée dans aucun conflit armé auquel le requérant pourrait se soustraire pour des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires de ce chef risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation éventuelle qu’il risque d’encourir du fait de sa non-présentation au service militaire serait disproportionnée par rapport à l’infraction commise ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Enfin, les craintes de persécution en raison de son appartenance à la communauté religieuse musulmane et la situation politique générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Enfin, conformément à la demande formulée au dispositif du recours introductif et au vu d’une lettre y afférente du délégué du bâtonnier de l’ordre des avocats à l’assistance judiciaire du 15 février 2001, il y a lieu de donner acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 26 novembre 2001 par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13251
Date de la décision : 26/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-26;13251 ?

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