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26/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13219

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 novembre 2001, 13219


Numéro 13219 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 26 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … OSMANOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13219 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit

au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OSMANOVIC, né le …...

Numéro 13219 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 26 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … OSMANOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13219 du rôle, déposée le 10 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … OSMANOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 décembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 12 mars 2001 prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2001 par Maître Louis TINTI pour compte de Monsieur OSMANOVIC;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

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Le 5 juillet 1999, Monsieur … OSMANOVIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur OSMANOVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur OSMANOVIC fut entendu en date du 7 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur OSMANOVIC, par décision du 11 décembre 2000, notifiée en date du 9 février 2001, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 8 mars 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 12 mars 2001, Monsieur OSMANOVIC a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 11 décembre 2000 et 12 mars 2001 par requête déposée le 10 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, le demandeur expose être originaire de la ville de Bérane au Monténégro et de confession musulmane. Il reproche au ministre une appréciation erronée des faits à la base de sa demande d’asile et soutient qu’une appréciation plus juste des éléments en cause aurait dû le conduire à reconnaître dans son chef l’existence d’une persécution à caractère politique intolérable au sens de la Convention de Genève. Il fait valoir que son départ de son pays d’origine aurait été motivé pour partie par le fait qu’il n’aurait pas voulu être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves et que ce comportement lui vaudrait d’être considéré comme insoumis dans son pays d’origine, au risque de faire l’objet d’une condamnation afférente d’une portée disproportionnée. Il fait valoir en outre que son attitude d’insoumission aurait été dictée par des raisons politiques et de conscience valables, étant donné qu’il aurait refusé de participer à une politique d’épuration ethnique et qu’il aurait quitté le Monténégro en avril 1999, à savoir à un moment où il serait établi que les forces militaires yougoslaves étaient en cours d’exécuter un processus d’épuration 2 ethnique poursuivi par les militaires yougoslaves dans la province du Kosovo. Concernant sa crainte relative aux conséquences de son insoumission, il fait valoir qu’il serait permis de douter de l’application effective et rigoureuse de la loi d’amnistie adoptée au niveau fédéral, étant donné que cette loi ne garantirait pas l’amnistie à tous ceux qui, par leur départ à l’étranger, ont refusé de prendre les armes ou ne se sont pas soumis à l’appel. Il relève plus particulièrement à cet égard que la loi d’amnistie laisserait un vide juridique en ne précisant pas les délais accordés pour rentrer au pays en vue de se présenter auprès des organes compétents afin de régulariser son statut. Il signale encore que dans la mesure où la non-

réponse à l’appel et l’insoumission au service militaire constitueraient des délits continués, l’infraction y relative serait constituée jusqu’au moment de la présentation de la personne concernée devant un organe étatique compétent, de sorte que les personnes ayant été dans l’impossibilité de se présenter avant le 7 octobre 2000 risqueraient toujours d’être condamnées rétroactivement. Il se réfère à un article d’un journal yougoslave faisant état de l’arrestation et de l’emprisonnement, postérieurement à l’entrée en vigueur de ladite loi d’amnistie, d’un sous-officier ayant déserté de l’armée yougoslave.

Le demandeur entend illustrer les doutes par lui invoqués relativement à l’application effective de la loi d’amnistie à travers une pièce versée en cause, en l’occurrence une ordonnance du tribunal d’instance de Bijelo Polje datée au 30 juillet 2001, décidant de l’ouverture d’une procédure judiciaire du chef de désertion à l’encontre d’un dénommé HADZAJLIC Nedzad, pour soutenir qu’en dépit des termes de la loi d’amnistie, des poursuites seraient encore engagées contre des personnes ayant déserté même avant le 7 octobre 2000.

Le représentant étatique soutient que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 7 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

3 En effet, concernant d’abord le moyen basé sur l’insoumission de Monsieur OSMANOVIC, le tribunal constate que les décisions ministérielles de refus sont légalement justifiées par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement ce dernier risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient encore de relever que Monsieur OSMANOVIC n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait une infraction continue et échapperait de ce fait au champ d’application de la loi d’amnistie, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà.

Par ailleurs l’affirmation que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie est démentie par le Haut Commissariat pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux dites personnes (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, Agovic, non encore publié).

Force est encore de constater que la pièce invoquée par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenue pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que l’ordonnance en question, à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas à situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps.

Il ressort des développements qui précèdent que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme étant non fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 novembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13219
Date de la décision : 26/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-26;13219 ?

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