La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13253

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 22 novembre 2001, 13253


Tribunal administratif N° 13253 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 22 novembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … ADROVIC,… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13253 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Bob PIRON, avocat

, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né ...

Tribunal administratif N° 13253 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 22 novembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … ADROVIC,… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13253 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001 par Maître Guillaume RAUCHS, avocat à la Cour, assisté de Maître Bob PIRON, avocat, les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le …à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 octobre 2000, notifiée le 16 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise le prédit ministre en date du 13 mars 2001.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001.

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises.

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Bob PIRON, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

----------------------------------------------------------------------------------------------------------

En date du 2 avril 1999, Monsieur … ADROVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-

ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Il fut entendu ensemble avec d’autres membres de sa famille en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur ADROVIC fut en outre entendu en date du 3 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 20 octobre 2000, notifiée en date du 16 janvier 2001, le ministre de la Justice l’informa que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte de vos déclarations que vous avez quitté, avec votre famille, votre domicile de Berane le 28 mars 1999 et que vous avez pris place dans une camionnette blanche immatriculée à Belgrade. Ensuite, vous avez dû marcher pendant de longues heures avant de remonter dans une voiture. Le passeur ne voulant donner aucune indication concernant le trajet, vous ignorez tout du déroulement du voyage.

Vous avez exposé que vous n’avez pas encore accompli votre service militaire, mais que vous avez reçu un appel après votre départ. Vous avez quitté votre pays avec votre famille pour éviter de devoir faire votre service militaire. Vous pensez que cela risque de vous valoir une peine de prison.

Vous ajoutez que vous n’étiez membre d’aucun parti politique.

Vous reconnaissez n’avoir subi aucune persécutions, mais simplement craindre la guerre et le Tribunal militaire.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne fonde pas, à elle seule, une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention.

En l’espèce, il ne se dégage pas de vos allégations que vous risquiez d’être persécuté pour l’une des raisons énumérées par l’article 1er A § 2 de la Convention, telles que vos opinions politiques, votre race, votre religion, votre nationalité ou votre appartenance à un groupe social.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre du 15 février 2001, Monsieur ADROVIC introduisit par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 octobre 2000.

Par décision du 13 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 12 avril 2001, Monsieur ADROVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 20 octobre 2000 et 13 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro et de confession musulmane, que sa situation spécifique serait telle qu’il serait particulièrement exposé à des persécutions en raison de son insoumission suite à une mobilisation générale au Monténégro, qu’il aurait peur de la guerre, que sa famille lui aurait d’ailleurs confirmé qu’il aurait reçu son appel pour le service militaire après son départ pour le Luxembourg, de sorte qu’il risquerait d’être condamné comme insoumis à une peine de prison lourde et disproportionnée par rapport à la gravité objective de son infraction. Le demandeur invoque encore la situation générale au Monténégro qui serait dangereuse, instable et effrayante.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.

Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.

adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

3 En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur ADROVIC lors de son audition en date du 3 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le principal motif fondé sur l’état d’insoumission de Monsieur ADROVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur ADROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève.

Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur ADROVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, les craintes de persécution en raison de la situation politique générale dans son pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait à raison intolérable dans son pays d’origine.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé au demandeur la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

4 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 novembre 2001 par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13253
Date de la décision : 22/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-22;13253 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award