Tribunal administratif N° 13234 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 11 avril 2001 Audience publique du 22 novembre 2001
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Recours formé par Monsieur … ADROVIC et son épouse, Madame … …, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique
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JUGEMENT
Vu la requête, inscrite sous le numéro 13234 du rôle, déposée le 11 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … ADROVIC, né le … à Niksic (Monténégro/Yougoslavie) et de son épouse, Madame … …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), tous les deux de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 9 novembre 2000, notifiée le 22 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise le prédit ministre en date du 8 mars 2001 ;
Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001 ;
Vu le mémoire en réplique déposé au nom des demandeurs au greffe du tribunal administratif le 3 octobre 2001 ;
Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2001 ;
Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;
Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.
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Le 18 mai 1999, Monsieur … ADROVIC, ainsi que son épouse Madame … … introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».
Les époux ADROVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.
Ils furent en outre entendus séparément en date du 19 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.
Par décision du 9 novembre 2000, notifiée le 22 janvier 2001, le ministre de la Justice les informa que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :
« Monsieur, vous dites avoir déserté de la réserve en avril 1999. Vous auriez été membre du LSCG sans pour autant en avoir été membre actif. Vous relevez que votre peur serait liée à votre religion sans que vous ne fournissiez d’autres explications.
Enfin, vous admettez ne pas avoir été personnellement persécuté. Quant à vous, Madame, vous dites ne pas avoir été membre d’un parti politique. Vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de la désertion de votre mari. Enfin, vous expliquez avoir reçu des appels téléphoniques anonymes.
Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
La désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée de persécution telle qu’énoncée à la Convention de Genève. Il n’est pas non plus établi que l’appartenance à la réserve de l’armée imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.
En outre, la simple appartenance à un parti politique est insuffisante pour bénéficier du statut de réfugié dès lors que vous n’exerciez aucune activité politique.
De même, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment pas son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.
Quant à vous, Madame, vous n’invoquez pas non plus de motif pouvant constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.
Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.
Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Par lettre datée au 1er janvier 2001, notifiée par voie de télécopie le 22 février 2001, les époux ADROVIC-HAJDARAPSIC introduisirent par leur mandataire un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 9 novembre 2000.
Par décision du 8 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.
Par requête déposée en date du 11 avril 2001, les époux ADROVIC-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 9 novembre 2000 et 8 mars 2001.
Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.
Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils seraient originaires du Monténégro et de confession musulmane, que leur situation spécifique serait telle qu’ils seraient particulièrement exposés à des persécutions en raison de la désertion de Monsieur ADROVIC qui aurait été enrôlé le 18 avril 1999 et qui aurait déserté 12 jours plus tard au motif qu’il n’aurait pas voulu tuer les gens et poser des mines susceptibles de tuer des civils et des enfants, de sorte qu’il risquerait d’être condamné comme déserteur à une peine disproportionnée par rapport à la gravité objective de l’infraction commise.
Les demandeurs font encore valoir l’appartenance de Monsieur ADROVIC au parti politique « Union libérale (LSCG) », la dissension entre les communautés serbe et musulmane et d’une façon générale la situation instable au Monténégro.
En droit les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits.
En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec la désertion de Monsieur ADROVIC, leur appartenance à la communauté musulmane et son adhésion au parti politique « Union libérale (LSCG) » ainsi que la situation générale instable au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.
Le délégué du gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que leur recours laisserait d’être fondé.
Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».
La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d’un recours en réformation, à apprécier le bien fondé et l’opportunité d’une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib.
adm. 1er octobre 1997, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).
Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des demandeurs.
En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions en date du 19 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les deux comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.
En effet, concernant le principal motif fondé sur l’état de désertion de Monsieur ADROVIC, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.
En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur ADROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur ADROVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées, et surtout que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.
Cette conclusion n’est pas énervée par les considérations avancées par les demandeurs tenant au fait que la désertion constituerait un délit « continué » et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits dont on connaîtrait la date exacte à laquelle ils ont été commis respectivement pour les déserteurs qui auraient pu se présenter devant un organe compétent pour régulariser leur situation, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm. 18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié).
Dans ce contexte, il convient encore d’ajouter que les pièces déposées par le mandataire des demandeurs à l’appui de leur recours, à savoir divers articles de presse, ainsi que l’ordonnance du 30 juillet 2001 du tribunal d’instance de Bijelo Polje concernant un dénommé Nedzad HADZAJLIC n’entraînent pas non plus la conviction du tribunal alors que ces documents ne sauraient en tout état de cause être retenus comme étant suffisants pour illustrer une défaillance généralisée au niveau de l’application de la loi d’amnistie, hypothèse qui est au demeurant démentie par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés qui a, au contraire, exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’aurait pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13853C du rôle, non encore publié).
Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de Monsieur ADROVIC au parti politique « Union Libérale (LSCG) », il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que Monsieur ADROVIC indique simplement avoir été sympathisant de ce parti politique sans indiquer avoir exercé des activités politiques au sein dudit parti et sans expliquer en quoi il risquerait des persécutions de ce fait. Ainsi, il n’a pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance au parti « Union Libérale (LSCG) », de sorte que les craintes y afférentes s’analysent en substance en l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs aient démontré que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Monténégro encourageraient d’éventuelles exactions ou ne sont pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant.
Enfin, il en est de même des craintes de persécution des demandeurs en raison de leur appartenance à la communauté religieuse musulmane et de la situation politique générale dans leur pays d’origine, qui constituent également en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que les demandeurs n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.
Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.
Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;
reçoit le recours en réformation en la forme ;
au fond, le déclare non justifié et en déboute ;
condamne les demandeurs aux frais.
Ainsi jugé par:
M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 22 novembre 2001 par le président, en présence de M. Legille, greffier.
Legille Ravarani