La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13289

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13289


Tribunal administratif N° 13289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

===============================

Recours formé par Madame … MURATI, épouse …,… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13289 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au t

ableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MURATI, épouse …, née le … à Bijelo Pol...

Tribunal administratif N° 13289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

===============================

Recours formé par Madame … MURATI, épouse …,… contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13289 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Marc ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … MURATI, épouse …, née le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 4 janvier 2001, notifiée le 23 janvier 2001, portant refus de sa demande en obtention du statut de réfugié et l’invitant à quitter le territoire luxembourgeois, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 8 mars 2001 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marc ELVINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2001.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

Le 19 octobre 1999, Madame … MURATI introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Madame MURATI fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 19 novembre 1999, Madame MURATI fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 4 janvier 2001, notifiée en date du 22 janvier 2001, le ministre de la Justice informa Madame MURATI de ce que sa demande avait été rejetée aux motifs que les insultes, les maltraitances et les menaces de mort par elle invoquées ne seraient pas de nature à justifier une crainte de persécution pour un des motifs énoncés à la Convention de Genève dans son chef, et que, de plus, elle n’apporterait aucun élément permettant d’établir des raisons pour lesquelles elle ne serait pas en mesure de s’installer soit dans un autre quartier de Mitrovica, ou dans une autre partie du Kosovo et de profiter ainsi d’une fuite interne dans sa région d’origine. Le ministre a encore relevé que les Albanais du Kosovo ne seraient pas des agents de persécution en sens de la Convention de Genève et que, par ailleurs, une force armée internationale, agissant sous l’égide des Nations Unies est installée au Kosovo, de même qu’une administration civile, placée sous les mêmes autorités a été mise en place, de sorte que la situation des minorités ethniques au Kosovo se serait améliorée par rapport à l’année 1999 et qu’une persécution systématique à leur encontre serait actuellement à exclure.

Par la même décision, le ministre invita Madame MURATI à quitter le territoire dans le mois suivant la notification de cette décision, sinon, au cas où elle exercerait un recours devant les juridictions administratives, dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée.

A l’encontre de la décision prévisée du 4 janvier 2001, Madame MURATI fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 20 février 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 mars 2001, elle a fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions prévisées des 4 janvier et 8 mars 2001 par requête déposée en date du 13 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée pour autant qu’elle a refusé de faire droit à leur demande d’asile. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure. Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable pour autant que ledit volet de la décision déférée est concernée.

Concernant le volet de la décision déférée ayant trait à l’invitation de quitter le territoire adressée aux demandeurs, seul un recours en annulation a pu être introduit, étant donné qu’un recours au fond n’est pas prévu en cette matière. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors recevable pour autant que ledit volet de la décision déférée est concerné pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, la demanderesse expose qu’elle est originaire du Kosovo et qu’elle appartient à la minorité ethnique des Goranais, dont la situation au Kosovo serait particulièrement difficile. Elle fait valoir plus particulièrement que même si la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas simplement conditionnée par la situation générale dans le pays d’origine, mais aussi par la situation individuelle particulière du demandeur d’asile, cela 2 n’empêcherait point que si une minorité serait exposée, dans son ensemble, comme ce serait actuellement le cas pour les bochniaques et les goranais, à des actes de persécution, chaque membre de cette communauté devrait se voir reconnaître une protection afférente. Elle signale qu’en l’état actuel, les minorités non albanaises du Kosovo seraient exposées aux actes de persécution de la part des Albanais qui, fut-ce à tort, les suspecteraient de complaisance vis-à-

vis de l’ancien « occupant » serbe et que par ailleurs elle même ne s’identifierait effectivement pas à la communauté albanaise, de sorte qu’elle serait particulièrement exposée aux ressentissements de celle-ci. La demanderesse se réfère pour le surplus à ses déclarations faites lors de son audition par un agent du ministère de la Justice relatives aux menaces de viol et de mort, ainsi que d’agressions de la part de la population albanaise, auxquelles elle aurait été exposée dans son pays d’origine.

Le délégué du Gouvernement rétorque en ce qui concerne les persécutions invoquées par des Albanais du Kosovo que celles-ci émaneraient non pas de l’Etat, mais de groupes de la population et que même si des incidents isolés ne sauraient être niés, on ne saurait accuser les forces onusiennes d’être dans l’incapacité absolue de protéger les minorités du Kosovo, voire d’encourager d’éventuelles exactions à leur encontre, de même que la demanderesse resterait en défaut de démontrer qu’elle serait dans l’impossibilité absolue de s’installer dans une autre partie du Kosovo, voire de la République fédérale yougoslave, et de bénéficier ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

En l’espèce, la demanderesse fait état de sa crainte de voir commettre des actes de violence à son encontre en raison de son appartenance à la minorité goranaise du Kosovo, tout en admettant que les persécutions par elle invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Elle estime néanmoins que sa crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de lui accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

3 En l’espèce, la demanderesse entend d’abord établir cette incapacité des autorités en place de lui offrir une protection appropriée en se référant à des pièces qui sont de nature à établir l’existence dans son pays d’origine d’un climat général d’insécurité particulièrement accentué par rapport aux minorités ethniques, partant également par rapport aux musulmans slaves, tels les goranais, dont elle fait partie.

Il y a cependant lieu de relever, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment de celle des « goranais », que s’il est vrai que sa situation générale est difficile et qu’elle est particulièrement exposée à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut dès lors, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

En l’espèce, la demanderesse, au-delà de se référer à des évènements illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo, s’est également référée à des éléments particuliers la touchant directement dans sa situation personnelle et tenant au fait non contesté en cause que dans son quartier d’origine à Mitrovica elle a fait l’objet de menaces et de violences de la part de la population albanaise et que les autorités en place ont été dans l’impossibilité d’assurer sa sécurité, la demanderesse versant à l’appui de cette affirmation une attestation lui délivrée par la gendarmerie française basée à Mitrovica dans le cadre des forces de la KFOR aux termes de laquelle « aucune proposition pouvant sauvegarder sa sécurité n’a pu être envisagée, si ce n’est que son départ au Luxembourg où son frère s’est réfugié ».

Compte tenu de sa situation personnelle, la demanderesse a dès lors raisonnablement pu interpréter les évènements par elle vécus comme traduisant des persécutions au sens de la Convention de Genève et éprouver une crainte légitime de persécutions dans sa ville d’origine.

Il convient cependant de relever que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation de la demanderesse à Mitrovica, voire au Kosovo, mais qu’elle reste en défaut d’établir qu’elle ne peut trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations tenant aux difficultés d’ordre économique susceptibles de se poser actuellement en cas de fuite interne, telles que relevées à travers les pièces et rapports versés au dossier, étant donné que ces dernières ne sauraient être utilement prises en considération dans ce contexte.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé pour autant que le volet de la décision déférée ayant trait à la demande d’asile de Madame MURATI est concerné.

4 Conformément aux dispositions de l’article 14, alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacés ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Il est constant que la jurisprudence européenne a étendu le champ d’application de l’interdiction des mauvais traitements visés à l’article 3 de la Convention européenne en ce sens qu’il n’est pas possible de limiter le champ d’application de l’article 3 aux seuls cas de traitements inhumains ou dégradants d’origine étatique et que partant il doit pouvoir s’appliquer même si le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Il n’en reste pas moins que la notion de risque applicable est celle du risque réel et que le risque catégoriel n’est pas pris en considération, le requérant devant prouver non seulement la réalité d’une situation particulière dans l’Etat d’accueil, mais aussi l’existence d’un risque individuel dans son chef (cf. Jean-François Renucci, Droit européen des droits de l’homme, 2e édition, L.G.D.J, p. 82).

La charge de la preuve incombant par ailleurs au demandeur en matière d’éloignement des étrangers, force est de constater en l’espèce que la demanderesse reste en défaut d’établir l’existence dans son chef d’un risque concret et individuel de menace grave à sa vie ou à sa liberté dans son pays d’origine. Les craintes par elle invoquées reposent en effet essentiellement sur la situation générale difficile des Goranais au Kosovo, sans qu’elle ne fournisse des éléments permettant de dégager que considérée individuellement elle serait exposée à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme dans les autres parties de son pays d’origine.

Force est dès lors de retenir qu’en dépit du fait que le délégué du Gouvernement a déclaré en termes de plaidoiries que pour des considérations politiques et d’opportunité, que le tribunal statuant en tant que juge de l’annulation ne saurait faire siennes pour invalider la décision déférée, il ne serait à l’heure actuelle pas procédé à l’éloignement systématique de personnes originaires du Kosovo, il y a lieu de conclure à partir des considérations qui précèdent, que le recours en annulation sous examen laisse également d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme pour autant que dirigé contre le refus d’octroi du statut de réfugié ;

au fond, le dit non justifié et en déboute ;

se déclare incompétent pour en connaître pour le surplus ;

reçoit le recours en annulation pour autant que dirigé contre l’ordre de quitter le territoire en la forme ;

5 au fond le dit non justifié et en déboute ;

déclare ledit recours irrecevable pour le surplus ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13289
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13289 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award