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21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13286

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13286


Tribunal administratif N° 13286 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par les époux … GALANI et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13286 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la C

our, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de … GALANI, né le … à Pec (Kosovo/Y...

Tribunal administratif N° 13286 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 13 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par les époux … GALANI et … … et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13286 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 13 avril 2001 par Maître Pierre ELVINGER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de … GALANI, né le … à Pec (Kosovo/Yougoslavie), et … …, née le … à Pec, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants …, …, … et …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 7 novembre 2000, notifiée le 12 février 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux rendue par le même ministre en date du 8 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Léon GLODEN, en remplacement de Maître Pierre ELVINGER et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-

Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2001.

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Le 1er septembre 1998, les époux … GALANI et … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, …, … et … GALANI, introduisirent auprès du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux GALANI-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 29 octobre 1999, les époux GALANI-… furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 7 novembre 2000, notifiée le 12 février 2001, le ministre de la Justice informa les époux GALANI-… de ce que leur demande avait été rejetée aux motifs qu’ils n’allégeraient, ni l’un ni l’autre, une crainte raisonnable de persécution entrant dans le cadre de l’article 1, A 2. de la Convention de Genève et qui serait susceptible de rendre leur vie intolérable dans leur pays, ceci eu égard notamment au fait qu’une force internationale sous l’égide des Nations Unies est installée dans la région pour assurer la coexistence pacifique des différentes communautés ethniques, de sorte qu’aucun élément ne permettrait de douter que cette force internationale ne serait pas à même, si le besoin s’en faisait sentir, d’assurer leur sécurité et de leur éviter les problèmes qu’un mariage mixte pourrait entraîner dans leur chef.

Par la même décision, le ministre invita les époux GALANI-… à quitter le territoire dans le mois suivant la notification de cette décision, sinon, au cas où elle exercerait un recours devant les juridictions administratives, dans le mois suivant le jour où la décision confirmative des juridictions administratives aura acquis le caractère de force de chose jugée.

A l’encontre de la décision prévisée du 7 novembre 2000, les époux GALANI-… firent introduire un recours gracieux par courrier de leur mandataire datant du 9 mars 2001. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre datant du 8 mars 2001, ils ont fait introduire un recours contentieux tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions ministérielles des 7 novembre 2000 et 8 mars 2001 par requête déposée le 13 avril 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asiles déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée pour autant qu’elle a refusé de faire droit à leur demande d’asile. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable dans cette mesure. - Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable pour autant que ledit volet de la décision déférée est concernée.

Concernant le volet de la décision déférée ayant trait à l’invitation de quitter le territoire adressée aux demandeurs, seul un recours en annulation a pu être introduit, étant donné qu’un recours au fond n’est pas prévu en cette matière. Le recours subsidiaire en annulation est dès lors recevable pour autant que ledit volet de la décision déférée est concerné pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, les demandeurs font exposer qu’ils ont présenté leur demande d’admission au statut de réfugié en date du 1er septembre 1998, soit à une époque où le Kosovo se trouvait encore sous l’emprise du gouvernement yougoslave et, plus précisément, de la République de Serbie. Ils exposent en outre former un couple dit « mixte », de religion 2 musulmane, Monsieur GALANI parlant l’albanais tandis que Madame … appartient à la minorité des « Bochniaques » du Kosovo parlant le serbo-croate.

Ils font valoir plus particulièrement que même si la reconnaissance du statut de réfugié n’était pas simplement conditionnée par la situation générale dans le pays d’origine, mais aussi par la situation individuelle particulière du demandeur d’asile, cela n’empêcherait point que si une minorité serait exposée, dans son ensemble, comme ce serait actuellement le cas pour les Bochniaques du Kosovo, à des actes de persécution, chaque membre de cette communauté devrait se voir reconnaître une protection afférente. Ils signalent qu’en l’état actuel, les minorités non albanaises du Kosovo seraient exposées à des actes de persécution de la part des Albanais, qui fut-ce à tort, les suspecteraient de complaisance vis-à-vis de l’ancien « occupant » serbe et que leur famille serait particulièrement exposée aux ressentissements de ladite communauté en raison de la mixité du couple GALANI-…. Les demandeurs se réfèrent pour le surplus à leurs déclarations faites lors de leurs auditions par un agent du ministère de la Justice pour illustrer les difficultés auxquelles ils auraient eu à faire face dans leur pays d’origine, les demandeurs ayant en effet déclaré à cet égard que Monsieur GALANI aurait été traumatisé par le fait que les Serbes auraient frappé son père à mort qu’il l’auraient accusé de cacher des armes, qu’il aurait dû quitter son emploi auprès d’une station de radio parce que le pouvoir serbe aurait voulu qu’il diffuse des programmes contre les Albanais, que leur ville d’origine aurait été détruite à 90%, leur maison ayant été brulée par un voisin, et que Madame … serait particulièrement exposée à des persécutions en raison du fait qu’elle ne parle pas albanais.

Le délégué du Gouvernement rétorque en ce qui concerne les persécutions invoquées par des Albanais du Kosovo que celles-ci émaneraient non pas de l’Etat, mais de groupes de la population et que même si des incidents isolés ne sauraient être niés, on ne saurait accuser les forces onusiennes d’être dans l’incapacité absolue de protéger les minorités du Kosovo, voire d’encourager d’éventuelles exactions à leur encontre, de même que la demanderesse resterait en défaut de démontrer qu’elle serait dans l’impossibilité absolue de s’installer dans une autre partie du Kosovo, voire de la République fédérale yougoslave, et de bénéficier ainsi d’une possibilité de fuite interne.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne.

En l’espèce, les demandeurs font état de leur crainte de voir commettre des actes de violence à leur encontre en raison de l’appartenance de Madame … à la minorité des Bochniaques du Kosovo ainsi que de la mixité du couple GALANI-…, tout en admettant que les persécutions par eux invoquées émanent non pas de l’Etat, mais de groupes de la 3 population, en l’espèce surtout de la population albanaise du Kosovo. Ils estiment néanmoins que leur crainte afférente peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique, étant donné que les autorités en place seraient dans l’impossibilité de leur accorder une protection adéquate.

S’il est certes vrai que la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, et qu’une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, il reste cependant pas moins qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 113, nos 73-s).

En l’espèce, les demandeurs entendent d’abord établir cette incapacité des autorités en place de leur offrir une protection appropriée en se référant à des pièces qui sont de nature à établir l’existence dans leur pays d’origine d’un climat général d’insécurité particulièrement accentué par rapport aux minorités ethniques, partant également par rapport aux musulmans slaves, tels les bochniaques dont Madame … fait partie.

Il y a cependant lieu de relever, dans ce contexte, en ce qui concerne la situation des membres de minorités au Kosovo, notamment celle des « Bochniaques », que s’il est vrai que sa situation générale est difficile et qu’elle est particulièrement exposée à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires. Une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut dès lors, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

En l’espèce, les demandeurs, au-delà de se référer à des évènements illustrant le climat général d’insécurité au Kosovo, se sont également référés à des éléments particuliers les touchant directement dans leur situation personnelle et tenant au fait que leur maison a été brûlée et que le père de Monsieur GALANI a été battu à mort pour avoir été accusé de cacher des armes, étant entendu que ces faits sont perçus par les demandeurs comme illustrant concrètement l’incapacité d’offrir une protection appropriée à la population dans le chef des autorités en place.

Il convient cependant de relever que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation des demandeurs à Mitrovica, voire au Kosovo, mais qu’ils restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Cette conclusion ne saurait être énervée par les considérations tenant aux difficultés d’ordre économique susceptibles de se poser actuellement en cas de fuite interne, telles que relevées à travers les pièces et rapports versés au dossier, étant donné que ces dernières, faute 4 de résulter directement d’une persécution au sens de la Convention de Genève, ne sauraient être utilement prises en considération dans ce contexte.

Il se dégage des considérations qui précèdent que le recours est à rejeter comme non fondé pour autant que le volet de la décision déférée ayant trait à la demande d’asile des époux GALANI-… est concerné.

Conformément aux dispositions de l’article 14, alinéa 3 de la loi du 28 mars 1972 concernant 1) l’entrée et le séjour des étrangers ; 2) le contrôle médical des étrangers ; 3) l’emploi de la main-d’œuvre étrangère, « l’étranger ne peut être expulsé, ni éloigné à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacés ou qu’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. » Il est constant que la jurisprudence européenne a étendu le champ d’application de l’interdiction des mauvais traitements visés à l’article 3 de la Convention européenne en ce sens qu’il n’est pas possible de limiter le champ d’application de l’article 3 aux seuls cas de traitements inhumains ou dégradants d’origine étatique et que partant il doit pouvoir s’appliquer même si le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne relèvent pas de la fonction publique. Il n’en reste pas moins que la notion de risque applicable est celle du risque réel et que le risque catégoriel n’est pas pris en considération, le requérant devant prouver non seulement la réalité d’une situation particulière dans l’Etat d’accueil, mais aussi l’existence d’un risque individuel dans son chef (cf. Jean-François Renucci, Droit européen des droits de l’homme, 2e édition, L.G.D.J, p. 82).

La charge de la preuve incombant par ailleurs au demandeur en matière d’éloignement des étrangers, force est de constater en l’espèce que les demandeurs restent en défaut d’établir l’existence dans leur chef d’un risque concret et individuel de menace grave à leur vie ou à leur liberté dans leur pays d’origine. Les craintes par eux invoquées reposent en effet essentiellement sur la situation générale difficile des Bochniaques au Kosovo, sans qu’ils ne fournissent des éléments permettant de dégager que considérés individuellement ils seraient exposés à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme dans les autres parties de son pays d’origine.

Force est dès lors de retenir qu’en dépit du fait que le délégué du Gouvernement a déclaré en termes de plaidoiries que pour des considérations politiques et d’opportunité, que le tribunal statuant en tant que juge de l’annulation ne saurait faire siennes pour invalider la décision déférée, il ne serait à l’heure actuelle pas procédé à l’éloignement systématique de personnes originaires du Kosovo, il y a lieu de conclure à partir des considérations qui précèdent, que le recours en annulation sous examen laisse également d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme pour autant que dirigé contre le refus d’octroi du statut de réfugié ;

5 au fond, le dit non justifié et en déboute ;

se déclare incompétent pour en connaître pour le surplus ;

reçoit le recours en annulation pour autant que dirigé contre l’ordre de quitter le territoire en la forme ;

au fond le dit non justifié et en déboute ;

déclare ledit recours irrecevable pour le surplus ;

condamne les demanderesses aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

Schmit Lenert 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13286
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13286 ?

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