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21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13246

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13246


Tribunal administratif Numéro 13246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … LEDINIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13246 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001 par Maître Laurent SCHUMMER, avocat à la Cour, assisté de Maître Marie REGIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … L

EDINIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeura...

Tribunal administratif Numéro 13246 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 12 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … LEDINIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13246 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 12 avril 2001 par Maître Laurent SCHUMMER, avocat à la Cour, assisté de Maître Marie REGIN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LEDINIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L –…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 20 octobre 2000 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et de celle confirmative du même ministre du 12 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Marie REGIN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 12 novembre 2001.

Le 21 juin 1999, Monsieur … LEDINIC introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur LEDINIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 25 juin 1999, Monsieur LEDINIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

1 Par décision du 20 octobre 2000, notifiée le 16 janvier 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne saurait suffire pour constituer une crainte justifiée de persécution susceptible de lui rendre la vie intolérable dans son pays.

Le 14 février 2001, Monsieur LEDINIC fit introduire un recours gracieux contre la décision ministérielle de refus.

Par décision du 12 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 20 octobre 2000.

Le 12 avril 2001, Monsieur LEDINIC a fait déposer au greffe du tribunal administratif principalement un recours en réformation et subsidiairement un recours en annulation contre les décisions ministérielles de refus des 20 octobre 2000 et 14 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur LEDINIC, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait valoir que les conditions d’obtention du statut de réfugié seraient réunies dans son chef.

En ce qui concerne la situation générale dans son pays d’origine, il expose que, la situation resterait très conflictuelle dans la région des Balkans et que plus particulièrement la situation des minorités y serait extrêmement difficile.

En ce qui concerne sa situation personnelle, il relève qu’il serait parti le 18 mars 1999 à la caserne de Pristina pour effectuer son service militaire, qu’il aurait subi des provocations de la part des Serbes pendant tout ce temps et qu’après les bombardements de l’OTAN, il aurait dû partir « dans les champs où il était formé à tuer nos ennemis : les Albanais, et détruire leurs maisons ». Il précise qu’au moment où il aurait parlé avec son commandant des persécutions endurées, celui-ci aurait donné l’ordre de désarmer les 6 Musulmans, dont Monsieur LEDINIC, d’un régiment comptant 894 Serbes, pour les traiter à l’instar de prisonniers de guerre. Le demandeur expose en plus qu’après environ deux mois, le contingent dont il faisait partie, aurait été envoyé à Prizren pour « tuer tout ce qui bouge, y compris les Albanais, et brûler toutes leurs maisons, parce que c’était de leur faute si l’OTAN bombardait la Yougoslavie » et que ce serait à ce moment, qu’il aurait décidé de fuir, refusant de tirer sur des gens innocents et des enfants et de commettre ainsi « des crimes de guerre ». Il précise, qu’après sa fuite, les Serbes seraient venus le chercher, plusieurs fois, à son domicile et auraient proféré des menaces de mort à son encontre et qu’en cas de retour dans son pays, il risquerait de subir des peines du chef d’insoumission et d’être assassiné par les soldats serbes qui le connaîtraient personnellement pour avoir effectué leur service militaire avec lui à la caserne de Pristina en 1999.

2 Il rajoute qu’il se serait déjà bien intégré au Luxembourg, que ces deux sœurs y vivraient également et qu’elles seraient prêtes à subvenir à ses besoins. De même il invoque une lettre de Madame la bourgmestre d’Ech-sur-Alzette qui elle aussi lui adresserait son entier soutien.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur LEDINIC lors de son audition du 25 juin 1999, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, à savoir le Monténégro, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur LEDINIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur LEDINIC n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Les autres éléments dont il fait état, à savoir le soutien moral et financier de ses deux sœurs habitant le Luxembourg, l’appui de la bourgmestre de la Ville de d’Esch-sur-Alzette et son intégration au pays, ne constituent pas des éléments de nature à être pris en compte dans le 3 cadre de l’appréciation de l’existence d’un risque de persécution au sens de la Convention de Genève, de sorte que le tribunal est amené à les écarter.

Il s’en suit que le recours laisse d’être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13246
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13246 ?

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