La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13224

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13224


Tribunal administratif N° 13224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13224 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats

à Luxembourg, au nom de M. … AGOVIC, né le … à Ivangrad (Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, t...

Tribunal administratif N° 13224 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 10 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

===============================

Recours formé par Monsieur … AGOVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

-------------------------------

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13224 et déposée au greffe du tribunal administratif le 10 avril 2001 par Maître François MOYSE, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … AGOVIC, né le … à Ivangrad (Yougoslavie), demeurant actuellement à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 18 octobre 2000, notifiée le 15 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 12 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Sandra CORTINOVIS, en remplacement de Maître François MOYSE, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

---

En date du 11 mars 1998, M. … AGOVIC introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

M. AGOVIC fut entendu le même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Il fut en outre entendu en dates des 12 mars et 20 mai 1998 sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 18 octobre 2000, notifiée le 15 janvier 2001, le ministre de la Justice informa M. AGOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous êtes arrivé au Luxembourg le 11 mars 1998 vers 6.00 heures.

Vous exposez avoir été appelé à faire la réserve militaire vers le 5 mars 1998. Vous ne vous seriez pas présenté suite à cet appel, mais la police militaire vous aurait emmené. Vous auriez déserté de la caserne de Pristina après y avoir passé une nuit.

Votre désertion serait motivée par votre refus de tirer sur quelqu’un. Vous auriez vu assez d’horreurs dans la guerre.

La police militaire serait venue vous chercher après votre désertion.

Vous indiquez encore avoir peur en raison de la situation générale au Monténégro sans être à même de fournir des explications plus précises.

Force est cependant de constater que la crainte d’une condamnation pénale pour le fait de ne pas avoir accompli ses obligations militaires n’est pas suffisante pour établir une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

De même l’insoumission ne constitue pas, à elle seule, un motif valable pour obtenir le statut de réfugié.

En outre, il ressort de vos déclarations que vous avez un sentiment général d’insécurité en raison de la situation au Monténégro. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 5 février 2001, M. AGOVIC introduisit, par le biais de son mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 18 octobre 2000.

Par décision du 12 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

2 Par requête déposée en date du 10 avril 2001, M. AGOVIC a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 18 octobre 2000 et 12 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de son recours, le demandeur soulève en premier lieu un moyen d’annulation tiré de ce que les décisions querellées ne seraient pas suffisamment motivées en fait et en droit.

Ledit moyen d’annulation, basé sur la violation de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes est cependant à écarter, étant donné que, même à admettre que le reproche formulé soit justifié, il ne s’en dégagerait pas une cause d’annulation des décisions ministérielles attaquées ou de l’une d’entre elles, l’omission des obligations d’indiquer les motifs dans le corps même de la décision que l’autorité administrative a pris entraînant uniquement que les délais impartis pour l’introduction des recours ne commencent pas à courir. - Ceci étant, il convient d’ajouter qu’il se dégage du libellé ci-avant repris de la décision ministérielle initiale du 18 octobre 2000 que le ministre a énoncé une motivation circonstanciée tant en droit qu’en fait et que, faute d’éléments nouveaux produits dans le cadre du recours gracieux, il a pu se référer dans sa décision confirmative du 13 mars 2001 à la décision initiale.

Le demandeur expose ensuite être de religion musulmane et qu’il a fui son pays d’origine en raison de « diverses persécutions en raison notamment de ses convictions religieuses et politiques », que, dans ce contexte, il aurait déserté de l’armée fédérale yougoslave « afin de cesser de bafouer ses convictions religieuses », de sorte qu’il serait actuellement recherché par la police militaire yougoslave et qu’il risquerait d’être condamné à une lourde peine de prison et d’être la victime de mauvais traitements par les Serbes. Il soutient en outre que la loi d’amnistie, qui a été votée en Yougoslavie, ne serait pas de nature à le garantir contre un risque de condamnation, étant donné que l’insoumission serait une infraction continue et que, pour tomber dans le champ d’application de ladite loi, il aurait fallu que son infraction ait cessé avant le 7 octobre 2000, ce qui ne serait pas le cas au motif qu’il n’est pas rentré en Yougoslavie avant cette date. Il fait également état de ce qu’il aurait fait « l’objet d’un véritable racisme et de discriminations de la part des Serbes en raison de sa religion musulmane ».

En substance, le demandeur reproche au ministre de la Justice d’avoir méconnu sa situation spécifique qui serait telle qu’en raison des faits ci-avant exposés, en cas de retour dans son pays d’origine, il serait exposé à un risque de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

3 Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de M. AGOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de M. AGOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par M. AGOVIC lors de ses auditions en date des 12 mars et 20 mai 1998, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, le principal motif de persécution dont le demandeur fait état, à savoir sa désertion de l’armée serbe, il convient de rappeler que l’insoumission ou la désertion ne sont pas, en elles-mêmes, des motifs justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elles ne sauraient, à elles seules, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

AGOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée 4 pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

AGOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constituerait un délit « continué » et que la loi d’amnistie ne s’appliquerait qu’aux délits qui auraient cessé avant le 7 octobre 2000, c’est-à-dire aux situations d’insoumission ou de désertion qui auraient été régularisés avant cette date par une présentation volontaire de l’intéressé devant les autorités compétentes, étant donné que cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée, aucun déserteur ou insoumis ne serait susceptible d’en bénéficier, hypothèse pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà (cf. trib. adm.

18 juillet 2001, n° 12547 du rôle, non encore publié). Force est encore de relever à cet égard qu’au delà des termes mêmes de la loi d’amnistie ainsi que des infractions qui y sont visées, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés a au contraire exprimé l’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et n’a pas eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pas pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Durakovic, n° 13853C du rôle).

Enfin, les craintes de persécutions du demandeur en raison de sa confession musulmane ou de ses opinions politiques constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’il n’ait établi un état de persécution personnelle vécue ou une crainte qui serait telle que sa vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne le demandeur aux frais.

5 Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 21 novembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13224
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13224 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award