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21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13206

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13206


Tribunal administratif N° 13206 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … MEHOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13206 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank

WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … MEHOV...

Tribunal administratif N° 13206 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … MEHOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13206 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2001 par Maître Pol URBANY, avocat à la Cour, assisté de Maître Frank WIES, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … MEHOVIC, né le … à Bor/Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Bérane, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 18 janvier 2001, notifiée le 7 mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc WALCH, en remplacement de Maître Pol URBANY, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 20 avril 1999, M. … MEHOVIC et son épouse, Mme … …, préqualifiés, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux MEHOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux MEHOVIC-… furent entendus séparément en date du 26 août 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 18 janvier 2001, notifiée le 7 mars 2001, le ministre de la Justice informa les époux MEHOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations, Monsieur, que la police militaire serait venue à plusieurs reprises à votre domicile pour vous conduire à la réserve. Vous précisez que vous auriez été membre du parti SDP jusqu’au moment où celui-ci serait entré en coalition avec Djukanovic. L’adhésion audit parti ne vous aurait par ailleurs pas causé de problèmes. Vous ajoutez que vous auriez peur des formations paramilitaires. Enfin, vous admettez ne pas avoir été personnellement persécuté.

Madame, vous soulignez que vous auriez quitté votre pays d’origine en raison de l’appel à la réserve de votre mari qui aurait dû suivre une chimiothérapie. Vous souhaitez rester au Luxembourg pour attendre le développement de la situation dans votre pays d’origine. Enfin, vous admettez ne pas être membre d’un parti politique et ne pas avoir été personnellement persécutée.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Monsieur, l’insoumission n’est pas suffisante pour constituer une crainte justifiée de persécution. De même, la seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait à l’heure actuelle la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Les faits que vous invoquez, Madame, ne sont pas de nature à fonder une crainte justifiée de persécution pour un des motifs retenus à la Convention de Genève, mais traduisent plutôt un sentiment général d’insécurité. Or, un sentiment général d’insécurité ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention.

Enfin, il ne faut pas oublier que le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment pas son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

2 Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 9 avril 2001, les consorts MEHOVIC-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 18 janvier 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires de la ville de Bérane au Monténégro et de confession musulmane, que M. MEHOVIC aurait fait son service militaire en 1983/1984, qu’en 1991, lors du premier conflit yougoslave, il aurait été appelé à la réserve militaire et aurait dû participer aux opérations militaires en Croatie, qu’en janvier 1999, il aurait à nouveau été convoqué pour la réserve militaire et qu’en raison de ses expériences faites en 1991 et de sa crainte de devoir participer à la guerre au Kosovo et de devoir se battre contre d’autres musulmans, il aurait décidé de ne pas donner suite à cette convocation. Les demandeurs ajoutent que M. MEHOVIC serait recherché par la police militaire, qu’il risquerait d’être condamné par un tribunal militaire comme déserteur à une peine d’emprisonnement pouvant atteindre 10 ans, c’est-à-dire une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité « réelle » de son infraction. Les demandeurs ajoutent encore que M. MEHOVIC aurait être membre du parti « SDP » qui s’engagerait à défendre les intérêts de la minorité musulmane au Monténégro.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de M. MEHOVIC, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux MEHOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut 3 ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux MEHOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux MEHOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 26 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur l’état d’insoumission de M.

MEHOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

MEHOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M.

MEHOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

4 Ensuite, la simple appartenance à un mouvement ou parti politique d’opposition de la part de M. MEHOVIC, étant relevé que lors de son audition du 26 août 1999, M. MEHOVIC a déclaré ne pas avoir joué de rôle actif au sein du « SDP » et ne pas avoir connu de problèmes du fait de son appartenance au « SDP », ne saurait constituer l’expression d’une persécution vécue ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

Enfin, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur pays d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 21 novembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13206
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13206 ?

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