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21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13188

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13188


Tribunal administratif N° 13188 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … TUTIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13188 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2001 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’

Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … TUTIC, né le … à Dobri Dub (Serbie/Yougoslavie), et de son...

Tribunal administratif N° 13188 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … TUTIC-… et consorts, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13188 et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2001 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de M. … TUTIC, né le … à Dobri Dub (Serbie/Yougoslavie), et de son épouse, Mme … …, née le … à Morani-Tutin (Serbie), agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 6 novembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 8 mars 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Marc WALCH, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En dates des 7 janvier et 9 février 1999, respectivement M. … TUTIC et son épouse, Mme … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

1 M. et Mme TUTIC-… furent entendus en dates des mêmes jours par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-

ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément le 1er juillet 1999 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 6 novembre 2000, notifiée le 19 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux TUTIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Monsieur, il résulte de vos déclarations que, le 20 décembre 1998, vous avez quitté votre domicile de Tutin pour aller à Subotica. Là, vous avez trouvé un passeur qui vous a conduit à la frontière autrichienne. Vous y êtes resté quelque temps et ensuite, le passeur vous a mené au Luxembourg en passant par l’Autriche et l’Allemagne.

Quant à vous, Madame, il résulte de vos déclarations que, le 7 février 1999, vous avez quitté Tutin avec vos deux plus jeunes enfants pour aller à Novi Pazar et puis à Subotica. Un passeur vous a emmenés en voiture directement au Luxembourg, mais vous ne pouvez donner aucune précision quant au trajet que vous avez suivi.

Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en 1984/1985.

Vous avez été appelé trois fois à la réserve entre novembre 1998 et décembre 1999. Le premier appel n’était qu’une réunion préparatoire. Par la suite, les vraies convocations sont arrivées, mais vous vous cachiez chaque fois. Après votre départ, la police militaire serait encore venue plusieurs fois vous chercher. Vous dites refuser de faire la guerre à vos propres compatriotes. Vous précisez qu’en tant qu’officier, vous connaissez les peines que vous encourez, à savoir un maximum de un mois de prison de la part d’un tribunal civil et un minimum de deux ans de prison de la part du tribunal militaire ; en effet, la peine maximale pourrait être lourde pour un officier qui a refusé la réserve.

Vous déclarez encore n’avoir été membre d’aucun parti politique, mais préférer les régimes démocratiques.

En ce qui concerne les persécutions que vous auriez subies, vous dites qu’il s’agirait de coups et d’insultes portés par la police en 1992 / 1993. Vous ne faites pas état de persécutions plus récentes.

Vous, Madame, vous confirmez les dires de votre mari. Vous ajoutez qu’après le départ de celui-ci, vous avez été interrogée à de nombreuses reprises ainsi que vos enfants. A ces occasions, vous avez été menacée mais pas maltraitée physiquement.

Je vous informe que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi, et surtout, par la situation particulière du demandeur d’asile qui [doit] établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

2 De plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale ce qui se traduit notamment pas son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A,2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable dans votre pays, telle une crainte justifiée de persécutions en raison de vos opinions politiques, de votre race, de votre religion, de votre nationalité ou de votre appartenance à un groupe social.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par lettre du 19 février 2001, les époux TUTIC-…, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs …, … et …, introduisirent, par le biais de leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 6 novembre 2000.

Par décision du 8 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 9 avril 2001, les consorts TUTIC-… ont fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées du ministre de la Justice des 6 novembre 2000 et 8 mars 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles critiquées. Le recours en réformation formulé en ordre principal, ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.- Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent être de religion musulmane et originaires de la ville de Tutin (Serbie), située dans la province du Sandzak, qu’après avoir fait son service militaire en 1984-1985, M. TUTIC aurait refusé de faire suite à des convocations (entre novembre 1998 et décembre 1999) pour la réserve militaire, que son insoumission et sa fuite seraient motivés par un refus « d’être enrôlé de force pour servir un régime autoritaire dont il désapprouvait complètement la politique » et de participer à une guerre civile au Kosovo, dirigée contre des personnes ayant la même religion que la sienne, qu’il risquerait 3 d’être condamné à une peine de prison et d’être la victime de mauvais traitements par les Serbes et que la peine qui serait susceptible d’être prononcée à son encontre risquerait d’être autant plus grave en raison du fait qu’il aurait le rang d’officier de réserve, que suite à la fuite de son époux, Mme … aurait été insultée et menacée par les policiers qui l’auraient recherché suite à son insoumission, de sorte qu’elle se serait également vue contraint de quitter son pays d’origine.

Les demandeurs ajoutent encore qu’il faudrait prendre en considération le fait que leurs enfants sont actuellement scolarisés au Luxembourg et qu’ils devraient être contraints à retourner en Yougoslavie avant la fin de l’année scolaire en cours.

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice d’avoir méconnu leur situation spécifique qui serait telle qu’en raison des faits ci-avant exposés, en cas de retour dans leur pays d’origine, ils seraient exposés à un risque de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des consorts TUTIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux TUTIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux TUTIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 1er juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 En effet, le principal motif de persécution dont les demandeurs font état, à savoir l’état d’insoumission de M. TUTIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M. TUTIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, M. TUTIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Concernant la situation générale des musulmans au Sandzak, il y a lieu de constater que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, les craintes de persécutions des demandeurs en raison de leur confession musulmane et de la situation générale tendue dans leur région d’origine constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans qu’ils n’aient établi un état de persécution personnelle vécu ou une crainte qui serait telle que la vie leur serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine. En effet, les insultes dont Mme … aurait été victime ne constituent pas des faits d’une gravité telle que la vie des demandeurs serait intolérable dans leur région d’origine, la même conclusion s’imposant relativement aux coups et menaces que M. TUTIC aurait subis en 1992-1993, lesquels ne sont, à les supposer établis, en l’absence de précisions y relativement et vu leur ancienneté, pas de nature à documenter une menace actuelle suffisamment grave relativement à un risque individuel de persécution dans le chef des demandeurs.

En outre, force est de constater que les craintes de persécution invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation au Sandzak et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge dans une autre partie de leur pays d’origine, 5 notamment au Monténégro, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Enfin, il convient d’ajouter que le fait que les enfants des époux TUTIC-… sont actuellement scolarisés au Luxembourg reste sans incidence quant au bien fondé ou mal fondé de leur demande d’asile, seul objet du présent litige, étant donné qu’un tel état des choses n’est pas de nature à justifier une crainte de persécution au sens de ladite Convention.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

reçoit le recours en réformation en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

déclare le recours en annulation irrecevable;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Ravarani, président, M. Campill, premier juge, M. Spielmann, juge, et lu à l’audience publique du 21 novembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

s. Legille s. Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13188
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13188 ?

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