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21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13187

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13187


Tribunal administratif Numéro 13187 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … LJUCA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13187 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2001 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Louis UNSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … LJUCA, né

le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant ac...

Tribunal administratif Numéro 13187 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 9 avril 2001 Audience publique du 21 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … LJUCA, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13187 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2001 par Maître Marc WALCH, avocat à la Cour, assisté de Maître Jean-Louis UNSEN, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … LJUCA, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L –…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 9 février 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Jean-Louis UNSEN et Monsieur le délégué du Gouvernement Jean-Paul REITER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 novembre 2001.

Le 22 mai 2000, Monsieur … LJUCA introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour, Monsieur LJUCA fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 10 novembre 2000, Monsieur LJUCA fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 9 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n'invoquerait 1 aucune crainte raisonnable du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que l’insoumission et les activités au sein du parti d’opposition « SDA » ne sauraient suffire pour constituer une crainte justifiée de persécution susceptible de lui rendre la vie intolérable dans son pays.

Le 9 avril 2001, Monsieur LJUCA a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation sinon en annulation contre la décision ministérielle de refus du 9 février 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. Le recours subsidiaire en annulation est par voie de conséquence irrecevable.

Quant au fond, Monsieur LJUCA, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait valoir que la décision ministérielle violerait la loi parce que le ministre n’aurait pas apprécié à sa juste valeur sa situation spécifique et subjective qui laisserait supposer une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève. Il expose qu’il aurait fuit son pays alors qu’il aurait reçu un nouvel appel à la réserve, mais qu’il ne voudrait pas « combattre des gens appartenant à la même communauté religieuse que lui » et que ces combats iraient à l’encontre de ses convictions religieuses. Il précise qu’il aurait participé au conflit militaire au Kosovo en 1998/1999 lors duquel il aurait été provoqué à maintes reprises par des officiers serbes, provocations qui se seraient soldées à maintes reprises par des bagarres. Il ajoute qu’en cas de retour dans son pays, il risquerait d’être gravement sanctionné pour avoir refusé de servir sous les drapeaux de l’armée fédérale yougoslave.

Monsieur LJUCA relève en plus qu’il aurait subi des représailles de la part des autorités alors en place en raison de sa qualité de membre du parti d’opposition « SDA ». Il explique qu’il aurait été incarcéré au courant de l’année 1999, sans préjudice quant à la date exacte, incarcération au cours de laquelle il aurait subi de multiples supplices. Il ajoute qu’on lui aurait demandé de devenir espion pour les Serbes et que cette adhésion lui aurait valu des agressions de la part de ses voisins serbes.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été 2 telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur LJUCA lors de son audition du 10 novembre 2000, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur LJUCA risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur LJUCA n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave au mois de février 2001 et entrée en vigueur au mois de mars 2001, en vertu de laquelle les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit d’éloignement arbitraire et de désertion des unités de l’armée yougoslave, sont amnistiées.

Concernant les craintes de persécutions en raison de l’appartenance de Monsieur LJUCA au parti politique « SDA », il échet de relever que s’il est vrai que les activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des craintes de persécution, tel n’est pas le cas en l’espèce, étant donné que Monsieur LJUCA indique simplement avoir été membre du parti SDA sans indiquer avoir exercé des activités politiques en raison de son appartenance au prédit parti et sans expliquer en quoi il risquerait des persécutions de ce fait. Ainsi, il reste en défaut d’apporter la preuve que l’incarcération dont il dit avoir fait l’objet est due à l’adhésion à ce parti. De même son affirmation que les Serbes lui auraient demandé de devenir espion reste en état d’une pure allégation. Ainsi il n’a pas fait état d’une persécution vécue ou d’une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine, en raison de son appartenance au parti « SDA », de sorte que ces craintes constituent en substance l’expression d’un sentiment général de peur qui ne saurait valoir comme motif suffisant pour lui accorder le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève.

En fin de compte les agressions commises par les voisins serbes sur Monsieur LJUCA à cause de son adhésion au parti politique « SDA », mêmes à les supposer établies, ne sauraient pas non plus valoir comme motif d’octroi du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève. En effet une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue 3 de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. trib. adm. 22 mars 2000, Dzogovic, n° du rôle 11659, Pas. adm. 2001, V° Etrangers, n° 32, p. 134).

Or le demandeur n’établit pas qu’au moment de son retour au pays, le gouvernement yougoslave ne serait pas en mesure d’offrir une protection appropriée à la population au Monténégro.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13187
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13187 ?

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