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21/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13144

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 novembre 2001, 13144


Tribunal administratif N° 13144 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mars 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … AGOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13144 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2001 par Maître Annick BRAUN, avocat à la Cour, assisté de Maître Pierr

e GOEDERT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. ...

Tribunal administratif N° 13144 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 30 mars 2001 Audience publique du 21 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … AGOVIC-… et consorts, … contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro du rôle 13144 et déposée au greffe du tribunal administratif le 30 mars 2001 par Maître Annick BRAUN, avocat à la Cour, assisté de Maître Pierre GOEDERT, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M. … AGOVIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Mme Fetija …, née le … à Bérane, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 11 décembre 2000, notifiée le 1er mars 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport et Maître Pierre GOEDERT, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 10 octobre 2000, M. … AGOVIC et son épouse, Mme Fetija …, préqualifiés, agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et …, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Les époux AGOVIC-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur leur identité et l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les époux AGOVIC-… furent entendus séparément en date du 16 octobre 2000 sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 11 décembre 2000, notifiée le 1er mars 2001, le ministre de la Justice informa les époux AGOVIC-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit: « Il résulte de vos déclarations que vous auriez quitté votre pays, parce que vous, Monsieur, auriez été appelé un mois auparavant à la réserve et que vous auriez refusé d’y donner suite. Vous auriez laissé le document d’appel à la maison.

Vous déclarez que les militaires seraient passés souvent au village et se seraient soûlés. Ils auraient tenté une fois de vous violer, Madame.

Les militaires et les voisins auraient dit à vos enfants qu’ils tueraient leurs parents.

Vous indiquez que vous ne voulez plus rentrer au Monténégro. Vous affirmez que vous auriez peur de la guerre. Madame, vous exposez avoir peur en général pour votre famille, une peur qui serait liée à votre religion.

Le seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Par ailleurs, la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

Même si votre récit des faits a trait à des pratiques certainement condamnables, ces faits ne sont cependant pas d’une gravité telle - même à les supposer établis - qu’ils justifient une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève.

En plus, le régime politique en Yougoslavie vient de changer au mois d’octobre 2000 avec la venue au pouvoir d’un président élu démocratiquement. Un nouveau gouvernement a été mis en place en novembre 2000 sans la participation des partisans de l’ancien régime. La Yougoslavie retrouve actuellement sa place dans la communauté internationale, ce qui se traduit notamment par son adhésion à l’ONU et à l’OSCE.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure 2 relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève ».

Par requête déposée en date du 30 mars 2001, les consorts AGOVIC-… ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision précitée du ministre de la Justice du 11 décembre 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile; 2) d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle entreprise.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Au fond, les demandeurs font exposer qu’ils sont originaires du Monténégro et de confession musulmane.

Ils soutiennent que ce serait à tort et en commettant une erreur d’appréciation que le ministre de la Justice a retenu que la désertion et la crainte de sanctions pénales ne seraient pas de nature à justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans leur chef. Dans ce contexte, ils exposent qu’au mois de septembre 2000, M. AGOVIC aurait été convoqué par l’armée « serbe » pour la réserve militaire, qu’il aurait refusé d’accepter cet appel et d’y donner une suite, que l’armée aurait mené « une campagne de recrutement avant les élections présidentielles afin de prévenir tout mouvement de contestation du régime en place » et qu’en raison de son insoumission, M. AGOVIC aurait été contraint de se cacher pour échapper à la police militaire qui l’aurait recherché. Les demandeurs ajoutent que des militaires auraient tenté de violer Mme AGOVIC-… et qu’ils auraient « enlevé » leurs enfants « pour les interroger sur leur père ».

Les demandeurs concluent que le droit de refuser de servir l’armée ferait partie des libertés de pensée, de conscience et de religion, conventionnellement garantis, et que ces libertés ne seraient pas garanties en Yougoslavie, étant donné que les lois fédérales yougoslaves prévoiraient des peines d’emprisonnement pouvant atteindre un maximum de 20 ans, c’est-à-dire une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité objective d’une telle infraction.

Enfin, ils soutiennent qu’en tant que musulmans, un retour au Monténégro les exposerait à des risques de persécutions « par les Serbes de religion orthodoxe ».

En substance, les demandeurs reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec l’insoumission de M. AGOVIC, leur religion musulmane, ainsi que la situation générale des musulmans au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux AGOVIC-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

3 Lors des plaidoiries, le délégué du gouvernement a encore relevé, au sujet des pièces produites en cause par les demandeurs, que la convocation pour la réserve militaire se situerait postérieurement à la guerre du Kosovo, de sorte que le demandeur ne saurait faire état d’un risque de devoir participer à un conflit condamné par la communauté internationale, qu’il ne saurait faire valoir d’autres raisons valables justifiant un refus de faire son service militaire et qu’il serait étonnant que M. AGOVIC n’ait pas introduit d’appel contre le jugement, à le supposer authentique, le condamnant du chef de son insoumission, afin que la loi d’amnistie, par ailleurs applicable à son cas, lui soit appliquée.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. - Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux AGOVIC-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux AGOVIC-… lors de leurs auditions respectives en date du 16 octobre 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours de la procédure contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le premier et principal motif fondé sur l’état d’insoumission de M.

AGOVIC, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef des demandeurs, une crainte justifiée d’être persécutés dans leur pays d’origine du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

4 En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que M.

AGOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables ou que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés.

Concernant la condamnation à une peine de prison « d’une durée de trois (3) à cinq (5) années » en raison de l’insoumission de M. AGOVIC, telle que prononcée par un jugement du tribunal militaire de Podgorica en date du 28 mars 2001, produit au cours de l’instruction de la procédure contentieuse, il échet de relever qu’elle ne constitue pas une peine manifestement disproportionnée par rapport à la gravité objective de l’infraction commise, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément produit en cause que ladite condamnation a été prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. - Enfin, s’il est vrai que ladite condamnation est intervenue après l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave, il est cependant vrai aussi que cette entrée en vigueur était récente, étant donné que la condamnation n’est intervenue qu’une vingtaine de jours après la date d’entrée en vigueur de la prédite loi, à savoir le 3 mars 2001, qu’il est curieux que le demandeur n’ait pas tenté d’introduire un recours contre ledit jugement et qu’il n’est pas établi en cause qu’au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et de la volonté réelle exprimée par les autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective, ledit jugement sera exécuté effectivement.

Concernant la situation générale des musulmans au Monténégro, il y a lieu de constater que s’il est vrai que leur situation générale est difficile et qu’ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population, elle n’est cependant pas telle que tout membre de la minorité ethnique visée serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, les demandeurs d’asile risquent de subir des traitements discriminatoires.

Or, en l’espèce, ni les allégations relatives à la tentative de viol par des militaires en état d’ivresse, aussi condamnable que cette infraction puisse être, ni encore le fait que la police militaire aurait « enlevé » les enfants des époux AGOVIC-…, à les supposer vrais, lesquels illustrent certes le climat général d’insécurité au Monténégro, mais ne démontrent pas que les autorités administratives ou judiciaires chargées du maintien de la sécurité et de l’ordre publics en place au Monténégro encourageraient d’éventuelles exactions ou ne soient pas capables d’assurer un niveau de protection suffisant aux habitants du Monténégro.

Il ressort de ce qui précède que les demandeurs n’ont pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans leur chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement;

5 reçoit le recours en la forme;

au fond le déclare non justifié et en déboute;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 21 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

s. Legille s. Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13144
Date de la décision : 21/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-21;13144 ?

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