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19/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13152

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2001, 13152


Numéro 13152 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2001 Audience publique du 19 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13152 du rôle, déposée le 2 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, assisté de

Maître Fabien VERREAUX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats...

Numéro 13152 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 2 avril 2001 Audience publique du 19 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … SABOTIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13152 du rôle, déposée le 2 avril 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Lex THIELEN, avocat à la Cour, assisté de Maître Fabien VERREAUX, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Bérane (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 24 novembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 20 mars 2001, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 13 juin 2001;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2001 par Maître Lex THIELEN, assisté de Maître Fabien VERREAUX, pour compte de Monsieur … SABOTIC;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 11 juillet 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Fabien VERREAUX et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

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Le 5 mai 1999, Monsieur … SABOTIC, préqualifié, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Monsieur SABOTIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Monsieur SABOTIC fut entendu en date du 7 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Monsieur SABOTIC, par décision du 24 novembre 2000, notifiée en date du 14 février 2001, que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’il n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécution en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux formé par courrier de son mandataire du 12 mars 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du même ministre du 20 mars 2001, Monsieur SABOTIC a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 24 novembre 2000 et 20 mars 2001 par requête déposée le 2 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi. Le recours subsidiaire en annulation est en conséquence irrecevable.

A l’appui de son recours, le demandeur affirme que la décision initiale du 24 novembre 2000, laquelle se baserait « sur l’irrecevabilité de la demande en ce qu’elle est prétendument non fondée », serait illégale « en ce qu’aucune base légale ne motive la possibilité pour une autorité administrative luxembourgeoise de déclarer une demande d’asile irrecevable alors qu’elle préjuge au fond ».

Force est néanmoins de constater que ce moyen tombe à faux, étant donné que la décision ministérielle litigieuse du 24 novembre 2000 précise clairement qu’elle ne déclare la demande d’asile du demandeur pas irrecevable, mais non fondée après un examen au fond.

Le demandeur prétend en deuxième lieu que la décision initiale du 24 novembre 2000 serait illégale en ce qu’elle se baserait sur des affirmations sommaires non autrement circonstanciées en fait ni motivées en droit et ne contenant aucun élément qui permettrait de 2 vérifier les motifs à sa base. Il soutient que le ministre n’aurait pas motivé sa décision dans le cadre de la Convention de Genève, qu’il aurait tenu pour établis des faits dont la réalité n’apparaîtrait pas de façon certaine des pièces du dossier et qu’ « aucune pièce ne démontrait qu’une autorité compétente n’avait été saisie » au moment où son mandataire avait consulté son dossier.

Force est de constater que ledit moyen laisse d’être fondé, étant donné qu’il ressort du libellé de la décision initiale du 24 novembre 2000 que le ministre de la Justice a indiqué de manière détaillée et circonstanciée les motifs en droit et en fait, sur lesquels il s’est basé pour justifier sa décision de refus, motifs qui ont ainsi été portés, à suffisance de droit, à la connaissance du demandeur. L’appréciation de la réalité des motifs figurant dans les décisions ministérielles litigieuses relève de l’examen au fond de la justification desdites décisions.

Le demandeur fait encore valoir que la décision aurait été prise sans vérification de la part du ministre s’il n’y a pas eu un problème de traduction, d’interprétation de ses réponses ou même de compréhension des questions lui posées, étant donné « qu’il y a eu manifestement un problème de compréhension des faits expliqués par le requérant ».

Il ressort des éléments du dossier que le demandeur a été auditionné le 7 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice et que le rapport d’audition afférent comporte notamment la signature manuscrite du demandeur apposée in fine du procès-verbal à la suite d’une déclaration préimprimée en sa langue maternelle d’après laquelle il certifie par sa signature notamment que le rapport d’audition relate exhaustivement et fidèlement ses déclarations. Il se dégage encore dudit procès-verbal que le demandeur a bénéficié lors de son audition de l’assistance d’un interprète.

Etant donné que le demandeur a attesté lui-même par sa signature qu’il a fait l’objet d’une audition et que le rapport afférent en constitue le résumé fidèle, il est malvenu à contester ex post la conformité du contenu du rapport d’audition avec ses déclarations (cf.

trib. adm. 10 novembre 2000, Skrijelj, n° 12390, confirmé par Cour adm. 11 janvier 2001, n° 12602C). Le moyen y relatif du demandeur est partant à écarter.

Quant au fond de sa demande d’asile, le demandeur expose avoir été maltraité par les réservistes de l’armée yougoslave en raison de sa religion musulmane et des « démêlées qu’il a pu avoir avec les réservistes de l’armée ». Il affirme avoir été condamné à une peine d’emprisonnement par un tribunal militaire qui lui ferait encourir les risques les plus graves pour sa santé au vu notamment de la carence, voire de l’inexistence de tout moyen public de sécurité. Il signale que ses prises de position contre le régime politique en place et les réservistes de l’armée, conjuguées à sa religion musulmane, rendraient un retour dans son pays d’origine impossible. Le demandeur conclut qu’au vu de ses déclarations plausibles et cohérentes indiquant l’existence d’une persécution dans son chef, ce serait à tort que le ministre lui aurait refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le demandeur ajoute que les persécutions « à titre personnel » dont il aurait été victime seraient fondées sur son appartenance à la minorité bosniaque et à sa religion et seraient l’expression « claire » de son opposition au régime en place dans son pays d’origine et aux réservistes de l’armée yougoslave. Il soutient que son insoumission se cumulerait avec sa rébellion à l’encontre des autorités militaires et que ces deux faits constitueraient ensemble une attitude d’opposition au régime en place dans son pays d’origine. Il argue que la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave « n’efface pas aux yeux des titulaires du pouvoir dans ce dernier pays les prétendues fautes commises par ceux qu’ils ont persécutés et qu’ils considèrent toujours comme leurs ennemis » et que cette loi ne constituerait partant 3 pas une garantie d’absence de poursuites pour les personnes concernées, d’autant plus qu’il aurait été convoqué le 8 juin 2001 pour joindre l’armée yougoslave. Il estime enfin que le ministre n’aurait pas pu se fonder utilement sur le changement de la situation politique en Yougoslavie qui n’aurait pas pour effet de réduire « le risque qui plane au-dessus de la minorité bosniaque et particulièrement de ses représentants ayant fait preuve d’une juste opposition aux manœuvres du pouvoir en place ».

Le délégué du Gouvernement estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par le demandeur lors de son audition en date du 7 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le moyen fondé sur l’insoumission du demandeur, la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que l’insoumission n’est pas, en elle-

même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, étant donné qu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève. En outre, il n’est pas établi qu’actuellement le demandeur risque de devoir participer à des actions militaires 4 contraires à des raisons de conscience valables, ni que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance à une minorité religieuse, risquent de lui être infligés, ni qu’il subsiste encore à l’heure actuelle un risque de poursuites en raison de son insoumission, ni encore qu’une condamnation d’ores et déjà prononcée le cas échéant de ce chef serait encore effectivement exécutée. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans le passé à l’égard de déserteurs et d’insoumis, le demandeur n’établit pas que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des condamnations prononcées sont encore effectivement exécutées, ceci compte tenu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par les deux chambres du parlement de la République fédérale yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale yougoslave, dont également ceux qui ont quitté le pays pour se soustraire à leurs obligations militaires.

Cette conclusion ne se trouve point énervée par le moyen du demandeur tiré d’un doute quant au bénéfice effectif dans son chef des dispositions de ladite loi d’amnistie, alors que le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés est d’avis que les termes de la loi d’amnistie témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et affirme ne pas avoir eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000 qui n’auraient pu bénéficier de cette loi (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, Agovic, n° 13854C, non encore publié).

Concernant ensuite l’argument du demandeur tiré de sa « rébellion », force est de constater que le demandeur a omis de préciser, tant lors de son audition que dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, d’en préciser les circonstances exactes, de manière que le tribunal n’est pas en mesure d’apprécier la réalité de ces faits et le risque de persécution en découlant.

Le moyen du demandeur tiré de la situation générale au Monténégro et plus particulièrement d’un risque de persécution en raison de représailles et d’autres menaces de la part des autorités serbes constitue en substance l’expression d’un sentiment général de peur, sans que le demandeur n’ait établi un état de persécution personnelle vécu dans un passé récent ou une crainte qui serait telle que la vie lui serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine. En effet, le demandeur a déclaré personnellement lors de son audition qu’il avait seulement « peur de la guerre et de l’armée » et qu’il n’avait pas fait l’objet de persécutions personnelles.

Il résulte des développements qui précèdent que le demandeur reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, 5 au fond, le déclare non justifié et en déboute, déclare le recours subsidiaire en annulation irrecevable, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 novembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13152
Date de la décision : 19/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-19;13152 ?

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