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19/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13123

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 novembre 2001, 13123


Numéro 13123 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2001 Audience publique du 19 novembre 2001 Recours formé par Madame … DURISHTA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13123 du rôle, déposée le 23 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté de M

aître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à L...

Numéro 13123 du rôle Tribunal administratif du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 mars 2001 Audience publique du 19 novembre 2001 Recours formé par Madame … DURISHTA, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13123 du rôle, déposée le 23 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Marc BOEVER, avocat à la Cour, assisté de Maître Olivier LANG, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … DURISHTA, née le … à Tirana (Albanie), de nationalité albanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 21 décembre 2000, ainsi que d’une décision confirmative du même ministre du 21 février prise sur recours gracieux, les deux portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique comme n’étant pas fondée;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juin 2001;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Olivier LANG et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

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Le 23 novembre 1999, Madame … DURISHTA, susqualifiée, introduisit auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

En date du même jour, Madame DURISHTA fut entendue par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Madame DURISHTA fut entendue en date du 8 juin 2000 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame DURISHTA, par décision du 21 décembre 2000, notifiée en date du 17 janvier 2001, de ce que sa demande avait été rejetée comme n’étant pas fondée au motif qu’elle n'alléguerait aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre sa vie intolérable dans son pays d’origine, de sorte qu’une crainte justifiée de persécutions en raison de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social ne serait pas établie dans son chef.

Le recours gracieux introduit par Madame DURISHTA moyennant courrier de son mandataire du 19 février 2001 s’étant soldé par une décision confirmative du ministre du 21 février 2001, elle a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de ces deux décisions ministérielles de rejet des 21 décembre 2000 et 21 février 2001 par requête déposée en date du 23 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire, instaurant un recours au fond en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation qui est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la demanderesse conteste les affirmations du ministre contenues dans la décision entreprise du 21 décembre 2000 concernant la situation générale en Albanie et soutient que la pièce soumise au ministre en annexe à son recours gracieux établirait que la situation politique actuelle serait « loin d’être aussi sûre que le ministre veut le laisser entendre » et serait marquée par la corruption, des troubles à l’ordre public, l’inefficacité de l’administration, la pauvreté judiciaire, l’insécurité et des conditions de travail minables pour la police, le crime et le trafic y étant « monnaie courante ».

Quant à sa situation individuelle, la demanderesse fait valoir qu’elle appartiendrait à une famille d’opposants à l’ancien régime communiste qui aurait « énormément » souffert des exactions commises par ce dernier. Elle expose à cet égard que son grand-père Myrteza Osman DURISHTA aurait été condamné à mort le 17 juillet 1945 en tant que « coupable pour le crime de criminel de guerre, ennemi du peuple, membre de l’organisation Legaliteti » et assassiné durant sa détention et que son oncle Hasan Myrtesa DURISHTA aurait été détenu de 1953 à 1963 en raison de ses activités politiques, pour soutenir qu’au vu de son lien de famille avec ces deux personnes, de sa cohabitation sous un même toit avec Monsieur Hasan Myrtesa DURISHTA depuis la libération de ce dernier et de son propre engagement dans le parti politique Legaliteti depuis 1995, elle pourrait légitimement craindre de faire pareillement l’objet de persécutions. Elle fait valoir avoir fait l’objet de menaces de mort incessantes par le biais de lettres anonymes glissées sous sa porte et renvoie au certificat du Ministère de l’Ordre Public du 12 novembre 1999 attestant que la police se serait efforcée d’identifier les auteurs de ces menaces contre sa personne. Elle critique la décision ministérielle du 21 décembre 2000, en ce qu’elle se fonde sur cette attestation pour conclure à une invraisemblance de l’existence d’une persécution de la part de l’Etat, et estime que la Convention de Genève n’exigerait pas que les persécutions émanent de l’Etat lui-même et que des persécutions commises par d’autres personnes ou groupements pourraient répondre aux critères fixés par ladite Convention à la seule condition, vérifiée en l’espèce selon la demanderesse, que l’Etat d’origine ne soit pas en mesure d’assurer une protection adéquate, abstraction même faite de la question de savoir si la police albanaise n’est pas éventuellement elle-même à l’origine de ces menaces.

2 Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11, p. 407).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur d’asile, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur. Il appartient au demandeur d’asile d’établir avec la précision requise qu’il remplit les conditions prévues pour obtenir le statut de réfugié politique (Cour adm. 5 avril 2001, Durakovic, n° 12801C du rôle, non encore publié).

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 8 juin 2000, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés dans le cadre des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, la demanderesse se prévaut essentiellement de menaces répétées pour sa vie par téléphone et lettres anonymes qu’elle entend voir mises en relation avec son engagement politique au sein du parti Legaliteti. Dans la mesure où il ne résulte pas des éléments en cause que ces actes émanent des autorités étatiques albanaises ou d’agents en dépendant, la crainte afférente de la demanderesse s’analyse en une crainte de persécution émanant d’autres groupements indépendants des autorités publiques. Or, une persécution émanant non pas de l’Etat, mais de groupes de la population ne peut être reconnue comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays d’origine pour l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève. La notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur 3 d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-

Yves CARLIER : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s ; Cour adm. 30 janvier 2001, Hajdarpasic, n° 12483C, Pas. adm. 2001, v° Etrangers, n° 32, p. 134).

En l’espèce, la demanderesse établit certes à travers le certificat du chef de la police criminelle de Tirana du 12 novembre 1999 qu’elle a dénoncé, après le 17 septembre 1999, les menaces dont elle avait fait l’objet aux autorités compétentes et qu’elle a ainsi recherché leur protection. Il ressort néanmoins du même certificat que la police « a déterminé les pistes d’investigation et travaille pour identifier les auteurs », de manière que cette pièce est plutôt de nature à documenter que les autorités n’ont pas refusé d’accorder leur aide à la demanderesse , mais qu’au contraire elles ont entamé des investigations pour identifier les auteurs des menaces. Il s’ensuit qu’un refus de protection de la part des autorités publiques ne peut pas être déduit des pièces soumises par la demanderesse.

Quant au renvoi par la demanderesse à la situation générale en matière de sécurité en Albanie, force est de constater que les considérations avancées se rapportent en substance à l’existence d’un climat d’insécurité sans permettre pour autant d’étayer que la police n’est effectivement pas en mesure de donner des suites utiles à sa dénonciation des menaces dont elle avait fait l’objet.

Il résulte des développements qui précèdent que la demanderesse reste en défaut d’établir une persécution ou un risque de persécution au sens de la Convention de Genève dans son pays de provenance, de manière que c’est à bon droit que le ministre lui a refusé la reconnaissance du statut de réfugié politique et que le recours sous analyse doit être rejeté comme n’étant pas fondé.

PAR CES MOTIFS, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond, le déclare non justifié et en déboute, condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 19 novembre 2001 par:

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge, en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT LENERT 4


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13123
Date de la décision : 19/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-19;13123 ?

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