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15/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12736

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2001, 12736


Tribunal administratif N° 12736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2001 Audience publique du 15 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … KUJOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12736 du rôle, déposée le 5 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie ERPELDING, avocat à l

a Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … KUJOVIC, né le...

Tribunal administratif N° 12736 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 5 janvier 2001 Audience publique du 15 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … KUJOVIC contre une décision du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12736 du rôle, déposée le 5 janvier 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie ERPELDING, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de Monsieur … KUJOVIC, né le … à Bijelo Polje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de la Justice du 28 septembre 2000, notifiée en date du 3 novembre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 mars 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Jean-Louis UNSEN, en remplacement de Maître Jean-Marie ERPELDING ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Gilles ROTH en leurs plaidoiries respectives.

Le 24 novembre 1998, Monsieur … KUJOVIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Monsieur KUJOVIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

1 Il fut ensuite entendu en date du 27 août 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 28 septembre 2000, notifiée le 5 novembre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur KUJOVIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous dites avoir reçu un appel pour effectuer le service militaire auquel vous n’auriez pas donné suite. Vous risqueriez une peine d’emprisonnement pour votre insoumission. Vous admettez par ailleurs ne pas être membre d’un parti politique et de ne pas avoir été personnellement persécuté. Vous relevez enfin que votre peur serait liée à votre religion sans pour autant donner d’autres explications.

Il y a d’abord lieu de relever que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève.

La seule crainte de peines du chef d’insoumission ne constitue pas un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder une crainte justifiée d’être victime de persécutions au sens de la Convention de Genève. Par ailleurs, alors qu’une situation de paix s’est établie dans votre pays d’origine, il n’est pas établi que l’appartenance à l’armée yougoslave imposerait la participation à des opérations militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Un recours gracieux introduit par le mandataire de Monsieur KUJOVIC en date du 28 novembre 2000 contre la décision initiale de refus du 28 septembre 2000 fut rejeté par une décision confirmative du ministre de la Justice du 7 décembre 2000.

Par requête déposée en date du 5 janvier 2001, Monsieur KUJOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision précitée du ministre de la Justice du 28 septembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, 2 prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation formulé en ordre principal ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable. -Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est à déclarer irrecevable. En effet, l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, de sorte que l’existence d’une possibilité d’un recours en réformation contre une décision rend irrecevable l’exercice d’un recours en annulation contre la même décision.

Au fond, le demandeur fait exposer qu’il serait originaire du Monténégro, qu’il appartiendrait à la minorité des « bochniaques » et qu’il aurait été convoqué par l’armée fédérale pour la réserve militaire et pour participer le cas échéant à la guerre, mais qu’il ne se serait pas présenté alors qu’il aurait refusé de « servir un régime autoritaire dont il désapprouvait complètement la politique, d’être contraint le cas échéant de participer à une guerre civile et de brandir un jour son arme contre des personnes appartenant à la même communauté religieuse que lui, à savoir musulmane ». En effet, ses convictions religieuses lui interdiraient de combattre des gens appartenant à la même confession religieuse que la sienne. Il ajoute que du fait de son insoumission, il risquerait d’être traité comme déserteur par les autorités et d’être traduit devant un tribunal militaire qui ne manquerait pas de le sanctionner d’une manière disproportionnée.

En droit, il conclut à la réformation de la décision ministérielle pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits en rapport avec son insoumission, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur KUJOVIC et que son recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

3 Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur KUJOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur KUJOVIC lors de son audition en date du 27 août 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le seul motif que le demandeur fait valoir, fondé sur son état d’insoumission, il convient de rappeler que l’insoumission n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur KUJOVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de son insoumission serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur KUJOVIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Il suit de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

4 reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

déclare le recours en annulation irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2001 par le vice-président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Schockweiler 5


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12736
Date de la décision : 15/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-15;12736 ?

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