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15/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12675

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2001, 12675


Tribunal administratif N° 12675 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2000 Audience publique du 15 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … LEDINIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12675 du rôle, déposée le 22 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick WEINACHT, avocat

à la Cour, assisté de Maître Frédérique LERCH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordr...

Tribunal administratif N° 12675 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 22 décembre 2000 Audience publique du 15 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur … LEDINIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12675 du rôle, déposée le 22 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Patrick WEINACHT, avocat à la Cour, assisté de Maître Frédérique LERCH, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … LEDINIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation principalement d’une décision du ministre de la Justice du 22 novembre 2000 confirmant une décision antérieure du même ministre du 24 août 2000, notifiée le 20 octobre 2000, par laquelle il n’a pas été fait droit à sa demande en reconnaissance du statut de réfugié politique et, subsidiairement, de la décision initiale précitée du 24 août 2000 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge rapporteur en son rapport, Maître Frédérique LERCH ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

Le 16 juillet 1999, Monsieur … LEDINIC, préqualifié, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-

York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

1 Monsieur LEDINIC fut entendu en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

Il fut ensuite entendu en date du 21 juillet 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Par décision du 24 août 2000, notifiée en date du 20 octobre 2000, le ministre de la Justice informa Monsieur LEDINIC de ce que sa demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Il résulte du rapport du Service de la Police Judiciaire du 16 juillet 1999 que vous avez affirmé avoir effectué votre service militaire en 1993/94. Par contre, lors de l’audition en date du 21 juillet 1999, vous déclarez avoir effectué votre service militaire en 1994/95 à Belgrade.

Vous dites avoir servi dans la réserve. Un appel vous aurait été adressé en votre absence en avril 1999. Vos parents auraient refusé la convocation.

En date du 21 mai 1999, la police militaire serait venue à votre domicile et vous aurait emmené à un poste de réserve situé à la frontière avec le Kosovo. Vous dites avoir été chargé de surveiller la frontière en question pour éviter que des réfugiés du Kosovo ne se rendent au Monténégro. Vous ajoutez que vous auriez dû maltraiter les réfugiés et les frapper pour les empêcher de franchir la frontière.

Vous exposez que vous auriez été chargé d’arrêter les réfugiés et de les conduire chez la police militaire. Vous dites ignorer ce que celle-ci leur aurait fait, tout en affirmant que vous ne vouliez plus participer à ces opérations.

Vous affirmez qu’étant donné que vous êtes musulman comme ces réfugiés, vous aviez peur que la même chose vous arrive à Rozaje.

Vous prétendez avoir déserté en date du 24 mai 1999, en fuyant en direction de Rozaje.

Vous ajoutez que vous n’auriez pas déserté si un conflit armé opposait la Yougoslavie et un Etat tiers.

Vous relevez avoir entendu dire qu’une désertion serait sanctionnée par une peine d’emprisonnement d’au moins deux ans, et cela même si vous faisiez défaut.

Vous exposez ne pas pouvoir apporter de preuve quant aux faits invoqués.

De même, vous déclarez ne pas être intéressé par la politique.

Vous dites vouloir rester au Luxembourg jusqu’à ce que Milosevic ait quitté le pouvoir.

Vous ajoutez que vous accepteriez de retourner dans votre pays d’origine du moment que vous ne risqueriez plus de peine d’emprisonnement pour votre désertion.

2 Vous admettez ne pas avoir eu de problèmes à cause de votre religion, mais que vous auriez peur du régime politique actuellement en place. Vous niez que cette peur est liée à vos opinions politiques, religieuses ou à votre appartenance à un groupe social ou national. Vous admettez que la loi est la même pour les Serbes que pour les musulmans et que les déserteurs serbes sont également arrêtés.

J’insiste sur le fait que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une crainte de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Il y a d’abord lieu de relever que la crainte d’une sanction pénale du chef de désertion ne constitue pas une crainte justifiée de persécution au sens de la prédite Convention. Vous dites d’ailleurs vous-même que les déserteurs serbes sont également arrêtés.

De même, alors que la paix règne actuellement dans votre pays d’origine, il n’est pas établi que l’appartenance à la réserve imposerait la participation à des actions militaires que des raisons de conscience valables justifieraient de refuser. A cela s’ajoute que vous retenez vous-

même que vous n’auriez pas déserté de l’armée en cas de conflit avec un Etat tiers.

Enfin, vous admettez que la peur du régime actuellement en place n’est pas liée à vos opinions politiques, religieuses ou à votre appartenance à un groupe social ou national.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

A l’encontre de la décision précitée du 24 août 2000, Monsieur LEDINIC fit introduire un recours gracieux par courrier de son mandataire datant du 1er novembre 2000. Celui-ci s’étant soldé par une décision confirmative du ministre de la Justice du 22 novembre 2000, il a fait introduire par requête déposée en date du 22 décembre 2000, un recours contentieux tendant à la réformation principalement de la décision ministérielle précitée du 22 novembre 2000 et subsidiairement de la décision également précitée du 24 août 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles déférées. Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

3 Au fond, le demandeur fait exposer qu’il est originaire du Monténégro, appartenant à la minorité des « bochniaques » et qu’à la suite de sa convocation par l’armée fédérale pour la réserve militaire et l’accomplissement de quelques jours de service militaire, au cours desquels il aurait été affecté à une unité ayant eu pour mission de surveiller la frontière entre le Monténégro et le Kosovo afin d’éviter que des réfugiés venant du Kosovo ne se rendent dans son pays d’origine, il aurait déserté afin de ne pas se faire le complice des agissements de l’armée fédérale yougoslave à l’encontre des réfugiés albanais du Kosovo, consistant plus particulièrement en des violences commises sur certains réfugiés afin de les empêcher de pénétrer sur le territoire du Monténégro. Il estime encourir une peine disproportionnée de la part des autorités militaires en raison de sa désertion, qui pourrait être fixée au double ou au triple des peines normalement encourues, ces peines étant à considérer comme étant manifestement disproportionnées par rapport à la gravité réelle et objective d’une telle infraction. Dans ce contexte, il expose qu’au cours des mois d’automne de l’année 2000, les autorités militaires auraient entrepris des actions d’arrestation de présumés déserteurs ou fugitifs du service militaire, ce qui établirait sa crainte de subir des persécutions de la part des autorités de son pays d’origine et l’impossibilité par ces mêmes autorités de lui fournir une protection appropriée en cas de retour dans son pays d’origine.

Il justifie encore son refus de retourner au Monténégro en invoquant des persécutions ou des risques de persécutions liés à sa religion ainsi qu’au climat d’insécurité y régnant.

En droit, le demandeur conclut à la réformation des décisions ministérielles pour violation de la loi ou erreur manifeste d’appréciation des faits, en concluant encore à la réformation de la décision ministérielle précitée du 22 novembre 2000 pour défaut de motivation, en ce qu’elle n’aurait pas pris position par rapport à des éléments nouveaux apportés dans le cadre du recours gracieux précité du 1er novembre 2000.

En substance, il reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés avec sa désertion, sa religion musulmane ainsi que la situation générale des « bochniaques » au Monténégro, qui établiraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Monsieur LEDINIC et que son recours laisserait d’être fondé. En ce qui concerne le défaut de motivation de la décision ministérielle précitée du 22 novembre 2000, il soutient que même au cas où le tribunal estimerait que la prédite décision omettrait d’indiquer une quelconque motivation, cette circonstance ne pourrait entraîner comme seule sanction que celle consistant en une suspension des délais de recours, étant entendu que le délégué du gouvernement pourrait compléter, même au cours de la phase contentieuse, la motivation se trouvant à la base de ladite décision.

En ce qui concerne le prétendu défaut de motivation de la décision ministérielle du 22 novembre 2000, portant confirmation de la décision ministérielle initiale du 24 août 2000, il échet de constater, à la lecture du recours gracieux du 1er novembre 2000, que contrairement à ce que prétend le demandeur, aucun élément nouveau n’a été soumis au ministre de la Justice par ledit recours gracieux, par rapport à ceux dont il disposait déjà au moment de la prise de la décision initiale du 24 août 2000, comme l’a constaté à bon droit le ministre dans sa décision confirmative du 22 novembre 2000. Partant, celle-ci est dûment motivée dans la mesure où elle reprend, par 4 référence, la motivation se trouvant à la base de la décision initiale de refus du 24 août 2000 et les deux décisions sont partant à analyser en ce qu’elles constituent une seule et même décision de refus de reconnaissance du statut de réfugié politique.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Monsieur LEDINIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par Monsieur LEDINIC lors de son audition du 21 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse ainsi que les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif que le demandeur fait valoir, tiré de sa désertion, il convient de rappeler que la désertion n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, puisqu’elle ne saurait, à elle seule, fonder dans le chef du demandeur, une crainte justifiée d’être persécuté dans son pays d’origine du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, paragraphe 2 de la section A, de la Convention de Genève.

En outre, il ne ressort pas à suffisance de droit des éléments du dossier que Monsieur LEDINIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables, que des traitements discriminatoires, en raison de son appartenance ethnique et de sa religion, risquaient ou risquent de lui être infligés, ou encore que la condamnation qu’il risque d’encourir en raison de sa désertion serait disproportionnée par rapport à la gravité d’une telle infraction ou que la condamnation éventuelle soit prononcée pour une des causes visées par 5 la Convention de Genève. Concernant ce dernier point, il convient encore d’ajouter que si des condamnations à des peines d’emprisonnement de plusieurs années ont été prononcées dans un passé récent à l’égard de déserteurs et d’insoumis, Monsieur LEDINIC n’établit pas, au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée récemment par les deux chambres du Parlement de la République Fédérale Yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale, que des poursuites pénales sont encore susceptibles d’être entamées et, surtout, que des jugements prononcés sont encore exécutés effectivement.

Enfin, concernant les craintes de persécution du demandeur en raison de son appartenance à la communauté bochniaque et plus particulièrement de son appartenance à la communauté religieuse musulmane, il convient de constater que ces craintes, non autrement spécifiées, constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur sans qu’il n’établisse concrètement en quoi à l’heure actuelle il serait encore exposé à un risque de persécution telle que sa vie serait, à raison, intolérable dans son pays d’origine.

Il résulte de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Il échet encore de donner acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire, tel que cela ressort d’une lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats du 7 novembre 2000 versée parmi les pièces du demandeur au greffe du tribunal administratif.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte au demandeur de ce qu’il bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais.

6 Ainsi jugé par:

M. Schockweiler, vice-président, M. Campill, premier juge Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2001, par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 7


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12675
Date de la décision : 15/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-15;12675 ?

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