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15/11/2001 | LUXEMBOURG | N°12661

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 15 novembre 2001, 12661


Tribunal administratif N° 12661 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2000 Audience publique du 15 novembre 2001

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Recours formé par Madame … TURKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12661 du rôle et déposée le 21 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à

la Cour, assisté de Maître Steve HELMINGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre de...

Tribunal administratif N° 12661 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 21 décembre 2000 Audience publique du 15 novembre 2001

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Recours formé par Madame … TURKOVIC contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 12661 du rôle et déposée le 21 décembre 2000 au greffe du tribunal administratif par Maître Roger NOTHAR, avocat à la Cour, assisté de Maître Steve HELMINGER, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame … TURKOVIC, née le … à Novi Pazar (Serbie/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 24 août 2000, notifiée le 23 octobre 2000, refusant de faire droit à sa demande d’asile, ainsi que d’une décision confirmative rendue sur recours gracieux prise par le même ministre en date du 1er décembre 2000 ;

Vu la lettre du bâtonnier de l’Ordre des avocats à Luxembourg du 7 novembre 2000, déposée au greffe du tribunal administratif le 9 janvier 2001, dont il ressort que Madame TURKOVIC bénéficie de l’assistance judiciaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 février 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, Maître Steve HELMINGER ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives.

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En date du 12 juillet 1999, Madame … TURKOVIC, préqualifiée, introduisit oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Elle fut entendue en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg, ainsi que sur son identité.

En date du 13 juillet 1999, Madame TURKOVIC fut entendue par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de sa demande d’asile.

Le ministre de la Justice informa Madame TURKOVIC, par décision du 24 août 2000, notifiée en date du 23 octobre 2000, que sa demande avait été rejetée aux motifs suivants :

« Vous dites avoir été licenciée environ six mois avant votre arrivée au Luxembourg par votre chef que vous estimez être nationaliste. Vous déclarez que votre chef n’aurait jamais licencié les Serbes, mais seulement les musulmans.

Vous déclarez n’avoir pas effectué de service militaire.

Vous n’êtes pas membre d’un parti politique. Vous dites que vous n’êtes pas active politiquement. Vous affirmez vous-même que ce n’aurait été qu’en cercle restreint que vous vous seriez prononcée sur la politique de Milosevic.

Vous relevez avoir quitté votre pays à cause de votre licenciement et à cause du conflit armé. Vous dites avoir lu que les femmes seraient violées et que vous auriez été menacée par téléphone.

Vous affirmez par ailleurs habiter tout près de la frontière avec le Kosovo. Beaucoup de réservistes auraient été stationnés dans votre ville et l’armée aurait confisqué les voitures.

Votre ville aurait été bombardée à plusieurs reprises, ce qui aurait causé la mort de plusieurs personnes.

Vous déclarez que la guerre ne serait pas vraiment terminée et que vous ne voudriez pas rentrer puisque vous auriez perdu votre travail.

Vous affirmez que vous auriez souvent été menacée de mort et insultée au téléphone.

De plus, vous dites que vous auriez dû travailler non-stop, que vous auriez dû effectuer le travail des Serbes et que vous n’auriez pas eu de droits. Les heures supplémentaires n’auraient pas été payées et vous n’auriez pas été rémunérée pendant vos quatre derniers mois de travail.

Vous dites enfin avoir peur à cause de vos convictions religieuses.

J’insiste sur le fait que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève, à savoir une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social.

Il y a lieu de relever également que la paix règne actuellement dans votre pays d’origine.

2 Tout en mesurant à leur juste valeur les difficultés matérielles que vous avez dû affronter après votre licenciement - même à le supposer établi, alors que vous ne fournissez aucun élément de preuve permettant d’accréditer la réalité des faits exposés - je me permets de constater qu’au moment où vous avez quitté votre pays, vous n’avez pas été exposée à un risque de persécution au sens de la Convention de Genève.

La peur générale que vous invoquez, les insultes et les menaces - même à les supposer établies - ne constituent pas non plus une crainte justifiée au sens de la prédite Convention.

Par conséquent vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécution susceptible de rendre votre vie intolérable dans votre pays. Ainsi une crainte justifiée de persécution en raison d’opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Votre demande en obtention du statut de réfugié est dès lors refusée comme non fondée au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne saurez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. » Un recours gracieux introduit par le mandataire de Madame TURKOVIC en date du 21 novembre 2000 contre la décision initiale de refus du 24 août 2000 fut rejeté par une décision confirmative du même ministre du 1er décembre 2000.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 21 décembre 2000, Madame TURKOVIC a fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées des 24 août et 1er décembre 2000.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit. Ledit recours est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Quant au fond, la demanderesse expose être originaire de Novi Pazar en Serbie et de confession musulmane. Elle fait valoir qu’elle aurait été licenciée de son poste d’infirmière par la direction de l’hôpital au sein duquel elle aurait presté son travail, en raison de ses convictions religieuses, en soulignant que cette décision s’expliquerait par le fait que la direction dudit hôpital aurait été composée de Serbes. Dans ce contexte, elle ajoute qu’avant son licenciement, elle aurait dû prester des heures de travail supplémentaires et qu’elle n’aurait plus perçu de salaire pendant une certaine période ce qui l’amène à conclure qu’elle aurait dû travailler dans des conditions inhumaines pendant plusieurs mois avant que serait intervenu son licenciement. Elle estime partant avoir été empêchée d’exercer son métier à cause de son origine ethnique et de son appartenance religieuse.

Elle fait encore valoir qu’en tant que femme célibataire vivant seule, sans avoir pu bénéficier de la protection d’une famille ou d’amis, elle aurait à plusieurs reprises fait l’objet d’insultes et de menaces de mort de la part de certains de ses supérieurs et de voisins serbes.

3 Enfin, elle estime que le fait par les autorités de son pays d’origine de violer les dispositions de la déclaration universelle des droits de l’homme et du pacte international relatif aux droits civils et politiques constituerait une persécution dans son chef, étant donné que lesdites autorités ne seraient pas en mesure de lui garantir le respect des droits qui découleraient de ces instruments internationaux.

En droit, la demanderesse conclut à la réformation des décisions ministérielles pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, elle reproche au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec son licenciement, les actes de persécution subis par elle ainsi que le non respect par les autorités yougoslaves des droits qui découleraient à son profit de la déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que du pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation de Madame TURKOVIC et que le recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle de la demanderesse, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations de Madame TURKOVIC.

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par la demanderesse lors de son audition en date du 13 juillet 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans le compte rendu figurant au dossier, ensemble les arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces versées en cause, amène le tribunal à conclure que la demanderesse reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

4 S’il est vrai qu’une persécution peut être établie, en cas de circonstances particulières, à analyser dans le chef de chaque individu, si, pour des raisons politiques, religieuses et d’appartenance à un sexe déterminé, une personne est contrainte de cesser sa relation de travail avec son employeur (cf. trib. adm. 17 décembre 1998, n° 10742 du rôle, Pas. adm.

2001, V° Etrangers, I. Réfugiés, C. Convention de Genève, n° 47, p. 138), force est cependant en l’espèce de constater que la demanderesse n’établit pas que son licenciement, l’obligation qui lui a été imposée de prester des heures supplémentaires ou le défaut de paiement de salaires à son profit, non autrement apportés en preuve, soient dus à son appartenance à la communauté religieuse musulmane et à son appartenance ethnique. Par ailleurs, même à supposer lesdits faits établis, il échet de relever, d’une part, qu’ils ne dénotent pas une gravité telle qu’ils justifient, à l’heure actuelle, une crainte justifiée de persécution de la demanderesse dans son pays d’origine et, d’autre part, que la demanderesse n’allègue et, a fortiori, n’établit aucune raison empêchant son recrutement, en sa qualité d’infirmière, par un autre employeur dans son pays d’origine.

En ce qui concerne les insultes et menaces dont elle aurait fait l’objet de la part de certains de ses anciens supérieurs hiérarchiques et de ses voisins serbes, la crainte y afférente que la demanderesse a exprimée s’analyse, en substance, en un sentiment général de peur, insuffisant à établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que Madame TURKOVIC, considérée individuellement et concrètement, risque de subir des traitements discriminatoires en raison de son appartenance ethnique ou de sa religion ou que de tels traitements lui auraient été infligés dans le passé dans son pays d’origine.

Par ailleurs, force est de constater que les craintes de persécution invoquées par la demanderesse se cristallisent autour de la seule situation en Serbie et qu’elle reste en défaut d’établir des raisons justifiant une impossibilité de trouver refuge dans une autre partie de son pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Finalement, l’invocation de la déclaration universelle des droits de l’homme ainsi que du pacte international relatif aux droits civils et politiques n’est pas pertinente, étant donné que le simple fait de tomber dans le champ d’application de ces instruments juridiques internationaux n’autorise pas une personne à se voir reconnaître le statut de réfugié politique.

L’examen du statut de réfugié politique fait l’objet d’une appréciation au cas par cas à la lumière des normes juridiques existantes régissant les conditions d’octroi du droit d’asile, à savoir la Convention de Genève.

Il suit de ce qui précède que la demanderesse n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié politique dans son chef. Partant, le recours en réformation est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à la demanderesse de ce qu’elle bénéficie de l’assistance judiciaire ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

5 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Schockweiler, vice-président M. Campill, premier juge, Mme Lamesch, juge, et lu à l’audience publique du 15 novembre 2001 par le vice-président, en présence de M.

Legille, greffier.

Legille Schockweiler 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 12661
Date de la décision : 15/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-15;12661 ?

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