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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13497

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 13497


Tribunal administratif Numéro 13497 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par les époux … SABOTIC et … … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13497 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2001 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, assistée de Maître Mireille HAMES, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembou

rg au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), et de son...

Tribunal administratif Numéro 13497 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 28 mai 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par les époux … SABOTIC et … … et consort, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13497 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 28 mai 2001 par Maître Anne-Marie SCHMIT, avocat à la Cour, assistée de Maître Mireille HAMES, avocat, toutes les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg au nom de Monsieur … SABOTIC, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), et de son épouse, Madame … …, née … à Kotor (Monténégro/Yougoslavie), agissant pour eux-mêmes, ainsi qu’en nom et pour le compte de leur enfant mineur …, né le … à Podgorica (Monténégro/Yougoslavie), tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L -…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice intervenue le 15 février 2001 en ce qu’il a refusé leur demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et d’une décision confirmative du même ministre du 26 avril 2001;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 août 2001 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Anne-Marie SCMMIT déposé au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH en remplacement de Maître Anne-Marie SCHMIT et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 22 octobre 2001.

Le 8 avril 1999, Monsieur … SABOTIC et le 3 septembre 1999 son épouse, Madame … …, agissant en leur nom propre, ainsi qu’en celui de leur enfant mineur …, introduisirent une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-

après dénommé « la Convention de Genève ».

Le 8 avril 1999 respectivement le 3 septembre 1999, les époux SABOTIC-… furent chacun entendus par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des 1 jeux, de la Gendarmerie grand-ducale, sur leur identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Le 11 août 1999, Monsieur SABOTIC et Madame … furent entendus séparément par un agent du ministère de la Justice sur leur situation et sur leurs motifs à la base de leur demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 15 février 2001, notifiée le 13 mars 2001, le ministre de la Justice informa les époux SABOTIC-… que leurs demandes avaient été refusées comme non fondées aux motifs qu’ils n'invoqueraient aucune crainte justifiée de persécution en raison de leurs opinions politiques, de leur race, de leur religion, de leur nationalité ou de leur appartenance à un groupe social. En effet, dans le chef de Monsieur SABOTIC, la crainte de peines du chef d’insoumission ne serait pas de nature à constituer une crainte justifiée de persécution au sens de la Convention de Genève. Le ministre ajouta que la situation politique en Yougoslavie aurait changé au mois d’octobre 2000 avec l’arrivée au pouvoir d’un président élu démocratiquement.

Le 13 avril 2001, les époux SABOTIC- … firent déposer un recours gracieux contre cette décision.

Par décision du 26 avril 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision.

Le 28 mai 2001, les époux SABOTIC- … ont fait déposer, tant en leur nom personnel qu’en celui de leur enfant mineur …, au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre la décision ministérielle de refus du 15 février 2001 et celle confirmative du 26 avril 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, les demandeurs, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, exposent qu’ils craignent subir des persécutions en retournant dans leur pays d’origine en raison de « leurs problèmes avec l’armée ». Ils précisent à cet égard que Monsieur SABOTIC, aurait commencé son service militaire en 1996, lors duquel il aurait été agressé par un général, et qu’au moment où il aurait été rappelé, il aurait déserté parce qu’il aurait refusé de se faire envoyer au Kosovo et de combattre ses frères musulmans. Ils prétendent que leurs convictions religieuses et politiques seraient réelles et que leur liberté et leur sécurité seraient menacées dans leur pays d’origine. Ils exposent que la situation d’après-guerre demeurerait encore très instable, malgré la disparition du régime de Milosevic et malgré le soutien accordé au niveau international au nouveau régime et que la démocratie ne serait pas encore instaurée. Ils concluent que les décisions déférées seraient partant à réformer parce que le ministre aurait basé ses décisions sur un examen superficiel et insuffisant des faits.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des demandeurs et que le recours laisserait d’être fondé. Il prend plus particulièrement appui sur un courrier du correspondant honoraire du UNHCR du 19 juin 2001 pour établir que la loi d’amnistie adoptée, serait effectivement appliquée. En plus il invoque la situation actuelle en Yougoslavie pour souligner que la paix se serait installée et que 2 la Yougoslavie aurait ratifié en date du 11 mai 2001 une convention cadre pour la protection des minorités nationales qui entrerait en vigueur le 1er septembre 2001.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs relèvent à propos de cette pièce qu’il faudrait la rejeter pour absence de pertinence. Ils prennent appui sur un compte rendu relatif à une entrevue ayant lieu entre le groupe parlementaire du parti politique démocratique « DP » et le comité des réfugiés du Sandjak duquel il résulterait que « la loi sur l’amnistie adoptée au parlement fédéral le 3 mars 2001 ne s’applique qu’aux personnes qui ont abandonné le service militaire, mais n’ayant pas quitté le territoire de l’ex-Yougoslavie et que les Bosniaques du Sandjak du 31 mai 2001 risquent de se retrouver au centre de nouveaux conflits armés entre indépendantistes et Serbes qui veulent continuer à faire partie de la Serbie. » Ils estiment que les tensions entre la République fédérale de Yougoslavie et le Monténégro seraient immenses et qu’il résulterait de l’ensemble des faits relatés par eux qu’ils auraient une crainte justifiée de persécution en raison de leurs convictions religieuses et de leur appartenance ethnique tant d’un point de vue objectif que subjectif.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour leur personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par les demandeurs lors de leurs auditions respectives, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit, des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Concernant la situation ethnico-religieuse des demandeurs, il y a en effet lieu de relever que la seule appartenance à une minorité ethnique ou religieuse est insuffisante pour établir une crainte légitime de persécution au sens de la Convention de Genève, étant donné qu’il ne ressort pas des éléments du dossier que les demandeurs, considérés individuellement et concrètement, risquent de subir actuellement des traitements discriminatoires en raison de cette appartenance. En ce qui concerne plus particulièrement Madame …, il résulte de son audition qu’elle n’a pas subi de persécutions personnelles et que la crainte dont elle fait état s’analyse en un sentiment général d’insécurité, lequel ne saurait être qualifié d’une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention de Genève.

3 Quant à la situation de Monsieur SABOTIC, force est de constater que son insoumission, même à la supposer établie, n’est pas en elle-même un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié, ceci d’autant plus qu’il n’est pas établi qu’il subsiste à l’heure actuelle un risque de poursuite en raison d’une éventuelle insoumission. En effet une loi d’amnistie a été adoptée par le parlement de la République fédérale de Yougoslavie au mois de février 2001. Elle est entrée en vigueur au mois de mars 2001 et elle prévoit que les personnes ayant commis, jusqu’au 7 octobre 2000, le délit de refus d’obtempération à l’appel et d’insoumission (art. 214 du Code pénal de la République fédérale de Yougoslavie) bénéficient d’une amnistie. Cette conclusion ne saurait, en l’état actuel du dossier, être énervée par les arguments avancés par les demandeurs suivant lesquels la pièce versée par le représentant étatique (lettre du 19 juin 2001 du correspondant honoraire du UNHCR) serait à rejeter, les demandeurs restant en défaut d’apporter des éléments concrets permettant de douter raisonnablement de l’application effective de la loi d’amnistie. L’entrevue du 31 mai 2001 entre le groupe parlementaire du parti politique démocratique « DP » et le comité des réfugiés du Sandjak concerne plus particulièrement la région du Sandjak qui se situe entre le Nord du Monténégro et le Sud de la Serbie. Les conclusions y retracées ne peuvent être transposées telles quelles sur la situation des demandeurs originaires de Podgorica qui se trouve au sud du Monténégro. Il y a encore lieu d’ajouter que lors de son audition, Monsieur SABOTIC déclare ne pas être membre d’un parti politique et qu’il n’a pas personnellement subi de persécutions.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre de la Justice a rejeté la demande en obtention du statut de réfugié des consorts SABOTIC-… comme étant non fondée.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne les demandeurs aux frais.

4 Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2001 par :

M. Schockweiler, Mme Lenert, premier juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

SCHMIT SCHOCKWEILER 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13497
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;13497 ?

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