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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13327

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 13327


Tribunal administratif Numéro 13327 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … SEFEROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13327 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SEFEROVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie),

de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L –…, tendant à la réformation d’une ...

Tribunal administratif Numéro 13327 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 23 avril 2001 Audience publique du 14 novembre 2001 Recours formé par Monsieur … SEFEROVIC, … contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 13327 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 23 avril 2001 par Maître Louis TINTI, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … SEFEROVIC, né le … à Rozaje (Monténégro/Yougoslavie), de nationalité yougoslave, demeurant actuellement à L –…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 22 novembre 2001 portant rejet de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié comme n’étant pas fondée et celle confirmative, intervenue sur recours gracieux, du même ministre du 22 mars 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2001 ;

Vu le mémoire en réplique duplique déposé par Maître Louis TINTI au greffe du tribunal administratif le 28 septembre 2001 pour compte de Monsieur … SEFEROVIC ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du Gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 octobre 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, en remplacement de Maître Louis TINTI, et Monsieur le délégué du Gouvernement Guy SCHLEDER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 octobre 2001.

Le 11 septembre 2000, Monsieur … SEFEROVIC introduisit une demande en reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 et approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Le même jour Monsieur SEFEROVIC fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

1 Le 19 septembre 2000, Monsieur SEFEROVIC fut entendu par un agent du ministère de la Justice sur sa situation et sur les motifs à la base de sa demande en reconnaissance du statut de réfugié.

Par décision du 22 novembre 2000, notifiée le 7 février 2001, le ministre de la Justice l’informa de ce que sa demande a été refusée comme non fondée aux motifs qu’il n'invoquerait aucune crainte raisonnable de persécution du fait de ses opinions politiques, de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social, étant donné que l’insoumission et l’appartenance à une minorité ethnique ne sauraient suffire pour constituer une crainte justifiée de persécution susceptible de lui rendre la vie intolérable dans son pays d’origine.

Par courrier de son mandataire du 7 mars 2001, Monsieur SEFEROVIC fit introduire un recours gracieux à l’encontre de cette décision de refus.

Par décision du 20 mars 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision du 22 novembre 2000.

Le 23 avril 2001, Monsieur SEFEROVIC a fait déposer au greffe du tribunal administratif un recours en réformation contre les deux décisions ministérielles datées des 22 novembre 2000 et 7 mars 2001.

L’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1. d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile, 2. d’un régime de protection temporaire prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, de sorte que seul un recours en réformation a pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée. Le recours en réformation ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

Quant au fond, Monsieur SEFEROVIC, de nationalité yougoslave et de confession musulmane, fait valoir qu’il aurait fui son pays pour se soustraire à l’enrôlement dans les forces militaires yougoslaves, vu qu’il aurait reçu une convocation pour la réserve en date du 25 août 2000 et que la police serait venue le chercher à son domicile.

Il précise que son comportement pourrait être interprété par les autorités en place comme l’expression d’une opinion politique et que son insoumission aurait été dictée par des raisons de conscience valables.

En ce qui concerne la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave le 2 mars 2001, il avance qu’elle ne constituerait aucune garantie de non-poursuite et cela pour deux raisons.

En premier lieu, il relève que l’infraction ayant consisté à refuser d’être enrôlé dans les forces militaires yougoslaves serait une infraction continuée, laquelle ne prendrait fin qu’au moment où son auteur se présente devant les autorités compétentes en vue de régulariser sa situation, de manière que lui-même, au moment où il se présenterait devant les autorités compétentes, se placerait en dehors de la période d’application de la loi d’amnistie s’étendant à tous les délits commis entre le 27 avril 1992 et le 7 octobre 2000. En deuxième lieu, il se réfère à un article du journal VESTI du 13 mars 2001 pour faire valoir que postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi d’amnistie, un sous-officier de l’armée populaire de Yougoslavie ayant déserté ladite armée aurait été arrêté et emprisonné. Dans la mesure où la peine à prononcer à son encontre 2 risquerait d’être d’une exceptionnelle gravité, cette sévérité, du fait de son caractère disproportionné, le demandeur soutient que cette peine pourrait être retenue et appréciée comme une persécution au sens de la Convention de Genève.

Le délégué du Gouvernement soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur et que le recours laisserait d’être fondé.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur entend illustrer les doutes par lui invoqués relativement à l’application effective de la loi d’amnistie à travers une pièce versée en cause, en l’occurrence une ordonnance du tribunal d’instance de Bijelo Polje datée au 30 juin 2001, décidant de l’ouverture d’une procédure judiciaire du chef de désertion à l’encontre d’un dénommé HADZAJLIC Nedzad, pour soutenir qu’en dépit des termes de la loi d’amnistie des poursuites seraient encore engagées contre des personnes ayant déserté même avant le 7 octobre 2000.

Le délégué du Gouvernement relève dans son mémoire en duplique que force serait de constater que la pièce intitulée « ordonnance » invoquée à l’appui du recours ne concernerait pas directement le demandeur, mais une autre personne, de sorte que cette pièce serait à considérer comme étrangère au litige et devrait être rejetée pour défaut de pertinence, de même qu’il y aurait lieu de constater que ce document ne constitue pas un jugement de condamnation et encore moins un jugement coulé en force de chose jugée.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l'opportunité d'une décision entreprise en tenant compte de la situation existant au moment où il statue.

L’examen des déclarations faites par Monsieur SEFEROVIC lors de son audition du 19 septembre 2000, ensemble les moyens et arguments apportés au cours des procédures gracieuse et contentieuse et les pièces produites en cause, amène le tribunal à conclure que le demandeur reste en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans son chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

En effet, concernant le motif invoqué de l’insoumission, il convient de rappeler que celle-ci n’est pas, en elle-même, un motif justifiant la reconnaissance du statut de réfugié. Le 3 tribunal constate que la décision ministérielle de refus est légalement justifiée par le fait que la paix s’est établie dans la région originaire du demandeur, de sorte qu’il n’est pas établi qu’actuellement Monsieur SEFEROVIC risque de devoir participer à des actions militaires contraires à des raisons de conscience valables. Il convient par ailleurs de relever que Monsieur SEFEROVIC n’établit pas à suffisance de droit qu’une condamnation serait encore susceptible d’être prononcée à son encontre de ce chef, voire qu’un jugement déjà prononcé serait encore effectivement exécuté, ceci au vu de l’évolution de la situation actuelle en Yougoslavie et plus particulièrement de la loi d’amnistie votée par le parlement yougoslave visant les déserteurs et insoumis de l’armée fédérale.

Cette conclusion ne saurait en l’état actuel du dossier être énervée par les considérations avancées par le demandeur tenant au fait que l’insoumission constitue une infraction continuée et échapperait de ce fait au champ d’application de la loi d’amnistie. En effet cette interprétation reviendrait à vider la loi d’amnistie en fait de sa substance en ce sens qu’au moment où une demande d’application de ladite loi est présentée aucun déserteur ou insoumis qui s’était éloigné vers l’étranger ne serait susceptible d’en bénéficier. Cette hypothèse est pourtant contredite par une large application que cette loi connaît d’ores et déjà, étant entendu par ailleurs que l’affirmation, que la loi d’amnistie ne serait pas applicable aux insoumis ayant quitté la Yougoslavie, est démentie par le Haut Commissariat pour les réfugiés qui est au contraire d’avis que les termes de cette loi témoignent de la volonté des autorités yougoslaves de mettre en place une amnistie effective et qui n’a pas encore eu connaissance de cas d’insoumis ou de déserteurs, n’ayant pas reçu de nouvel appel après le 7 octobre 2000, qui n’auraient pu bénéficier de cette loi, de manière à ne pas entrevoir de raisons de penser que celle-ci ne serait pas appliquée aux personnes ayant été à l’étranger après le 7 octobre 2000 et n’ayant pas reçu de nouvel appel après cette date (cf. Cour adm. 16 octobre 2001, n° 13854C du rôle, Agovic, non encore publié).

Force est encore de constater que la pièce invoquée par le demandeur pour soutenir ses doutes au sujet de l’application effective de la loi d’amnistie ne saurait être utilement retenue pour invalider la conclusion ci-avant dégagée, étant donné que l’ordonnance en question, à admettre son authenticité, ne permet en tout état de cause pas de situer avec toute la certitude requise l’infraction pénale y visée dans le temps.

Il ressort de ce qui précède que le demandeur n’a pas fait état d’une persécution ou d’une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève susceptible de justifier la reconnaissance du statut de réfugié dans son chef. Le recours en réformation est partant à rejeter comme n’étant pas fondé.

4 Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement, reçoit le recours en réformation en la forme, au fond le déclare non justifié et en déboute, condamne le demandeur aux frais.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 14 novembre 2001 par :

Mme Lenert, premier juge, M. Schroeder, juge, Mme Thomé, juge en présence de M. Schmit, greffier en chef.

s. SCHMIT s. LENERT 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 13327
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;13327 ?

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