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14/11/2001 | LUXEMBOURG | N°13086

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 novembre 2001, 13086


Tribunal administratif N° 13086 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … JAMINI-… et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13086 du rôle, déposée le 19 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne ANAST

ASIO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur...

Tribunal administratif N° 13086 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg Inscrit le 19 mars 2001 Audience publique du 14 novembre 2001

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Recours formé par Monsieur et Madame … JAMINI-… et consorts contre deux décisions du ministre de la Justice en matière de statut de réfugié politique

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 13086 du rôle, déposée le 19 mars 2001 au greffe du tribunal administratif par Maître Anne ANASTASIO, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur … JAMINI, né le … à Radesa Gora (Kosovo/Yougoslavie) et de son épouse, Madame … …, née le … à Lestane (Kosovo/Yougoslavie), agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … JAMINI, née le …, et … JAMINI, né le …, tous de nationalité yougoslave, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de la Justice du 20 octobre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, par laquelle il n’a pas été fait droit à leur demande en reconnaissance du statut de réfugié politique, ainsi que d’une décision confirmative sur recours gracieux prise par le prédit ministre en date du 20 février 2001 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 mai 2001 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Ouï le juge-rapporteur en son rapport, et Maître Bieneke BLECH, en remplacement de Maître Anne ANASTASIO, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Malou HAMMELMANN en leurs plaidoiries respectives.

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Le 6 septembre 1999, Monsieur … JAMINI, ainsi que son épouse, Madame … …, agissant tant en leur nom personnel qu’en nom et pour compte de leurs enfants mineurs … et … JAMINI, tous préqualifiés, introduisirent oralement auprès du service compétent du ministère de la Justice une demande en reconnaissance du statut de réfugié politique au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, et du Protocole relatif au statut des réfugiés, fait à New-York, le 31 janvier 1967, approuvé par règlement grand-ducal du 6 janvier 1971, l’ensemble de ces dispositions étant ci-après dénommé « la Convention de Genève ».

Les époux JAMINI-… furent entendus en date du même jour par un agent du service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, de la gendarmerie grand-ducale, sur leur itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Ils furent en outre entendus séparément en date du 9 septembre 1999 par un agent du ministère de la Justice sur les motifs à la base de leur demande d’asile.

Par décision du 20 octobre 2000, notifiée le 17 janvier 2001, le ministre de la Justice informa les époux JAMINI-… de ce que leur demande avait été rejetée. Ladite décision est motivée comme suit :

« Vous, Monsieur, vous exposez que vous avez fait votre service militaire en Slovénie en 1981/1982. Vous avez été convoqué à la réserve à laquelle vous vous êtes rendu.

Vous dites encore que vous êtes membre du SPO, Mouvement du Renouveau Serbe.

Vous expliquez que l’appartenance à ce parti vous a causé beaucoup de problèmes, tant avec vos voisins qu’au sein de votre propre famille ; en effet, les musulmans du Kosovo, dont vous faites partie, n’auraient pas compris votre adhésion et votre action militante dans un parti radicalement serbe. Quant à votre père, il vous aurait évincé dans vos droits sur le fonds de commerce familial.

Vous reconnaissez n’avoir subi aucune persécution ni mauvais traitement, mais vous expliquez avoir été sous pression psychologique permanente.

Vous, Madame, vous dites que vous n’êtes membre d’aucun parti politique mais que la situation au Kosovo ne vous permettrait pas d’éduquer vos enfants dans de bonnes conditions. Vous précisez que vous étiez, votre mari et vous-même, sans travail quand vous êtes partis.

Je vous signale que la reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout, par la situation particulière des demandeurs d’asile qui doivent établir, concrètement, que leur situation individuelle est telle qu’elle laisse supposer une crainte justifiée de persécutions au sens de la Convention de Genève.

Bien que mesurant à leur juste valeur les difficultés auxquelles vous avez été confrontées, je dois constater que vous n’alléguez aucune crainte raisonnable de persécutions entrant dans le cadre de l’article 1er A, 2 de la Convention de Genève et qui soit susceptible de vous rendre la vie intolérable. Une crainte justifiée de persécutions en raison des opinions politiques, de la race, de la religion, de la nationalité ou de l’appartenance à un groupe social n’est pas établie.

Vos demandes en obtention du statut de réfugié sont dès lors refusées comme non fondées au sens de l’article 11 de la loi du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, de sorte que vous ne sauriez bénéficier de la protection accordée par la Convention de Genève. (…) ».

Par lettre du 14 février 2001, les époux JAMINI-… introduisirent, par leur mandataire, un recours gracieux à l’encontre de la décision ministérielle précitée du 20 octobre 2000.

2 Par décision du 20 février 2001, le ministre de la Justice confirma sa décision négative antérieure.

Par requête déposée en date du 19 mars 2001, les époux JAMINI-… ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions précitées du ministre de la Justice des 20 octobre 2000 et 20 février 2001.

Etant donné que l’article 12 de la loi modifiée du 3 avril 1996 portant création 1) d’une procédure relative à l’examen d’une demande d’asile ; 2) d’un régime de protection temporaire, prévoit un recours en réformation en matière de demandes d’asile déclarées non fondées, seule une demande en réformation a pu être dirigée contre les décisions ministérielles entreprises.

Le recours en réformation ayant été introduit dans les formes et délai de la loi, il est recevable.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent qu’ils auraient été contraints de quitter leur pays d’origine en raison, d’une part, du fait que les populations serbe et albanaise ne parviendraient pas à y cohabiter, ce qui y entraînerait une grande insécurité et, d’autre part, de l’appartenance de Monsieur JAMINI au parti du Renouveau Serbe (SPO) qui serait un parti radicalement pro-serbe et qu’ils craigneraient de ce fait des persécutions de la part de la population albanaise du Kosovo.

En droit, les demandeurs concluent à la réformation des décisions ministérielles entreprises pour erreur d’appréciation des faits.

En substance, ils reprochent au ministre de la Justice de ne pas avoir pris en considération les faits prérelatés en rapport avec la situation générale existant au Kosovo et l’appartenance de Monsieur JAMINI à un parti politique défendant les intérêts des Serbes, qui constitueraient des craintes raisonnables de persécution justifiant la reconnaissance du statut de réfugié politique.

Le représentant étatique soutient que le ministre de la Justice aurait fait une saine appréciation de la situation des époux JAMINI-… et que leur recours laisserait d’être fondé.

Aux termes de l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève, le terme « réfugié » s’applique à toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion et de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner ».

La reconnaissance du statut de réfugié n’est pas uniquement conditionnée par la situation générale du pays d’origine, mais aussi et surtout par la situation particulière du demandeur d’asile qui doit établir, concrètement, que sa situation subjective spécifique a été telle qu’elle laissait supposer un danger sérieux pour sa personne. Dans ce contexte, il convient encore de préciser que le tribunal est appelé, dans le cadre d'un recours en réformation, à apprécier le bien-fondé et l’opportunité d'une décision entreprise en tenant 3 compte de la situation existante au moment où il statue (cf. trib. adm. 1er octobre 1997, Engel, n° 9699, Pas. adm. 2001, V° Recours en réformation, n° 11).

Dans le cadre de l’évaluation de la situation personnelle des demandeurs, l’examen fait par le tribunal ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il apprécie également la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations des époux JAMINI-….

En l’espèce, l’examen des déclarations faites par les époux JAMINI-… lors de leurs auditions respectives en date du 9 septembre 1999, telles que celles-ci ont été relatées dans les comptes rendus figurant au dossier, ensemble les moyens et arguments développés au cours des procédures gracieuse et contentieuse, amène le tribunal à conclure que les demandeurs restent en défaut de faire état et d’établir à suffisance de droit des raisons personnelles de nature à justifier dans leur chef une crainte actuelle justifiée de persécution du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs convictions politiques ainsi que le prévoit l’article 1er, section A, 2. de la Convention de Genève.

Il convient de rappeler qu’en la présente matière, saisie d’un recours en réformation, la juridiction administrative est appelée à examiner le bien-fondé et l’opportunité des décisions querellées à la lumière de la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance des demandeurs d’asile et non pas uniquement eu égard à la situation telle qu’elle existait à l’époque de leur départ.- En ce qui concerne cette situation actuelle, il est constant en cause que suite au départ de l’armée fédérale yougoslave et des forces de police dépendant des autorités serbes du Kosovo, une force armée internationale agissant sous l’égide des Nations Unies, s’est installée sur ce territoire, de même qu’une administration civile, placée sous l’autorité des Nations Unies, y a été mise en place.

Il convient de constater qu’un risque de persécution au titre de l’une des cinq causes visées à l’article 1er de la Convention de Genève émanant de groupes de la population, ne peut être reconnu comme motif d’octroi du statut de réfugié politique que si la personne en cause ne bénéficie pas de la protection des autorités de son pays. Or, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d’un acte criminel, mais seulement dans l’hypothèse où les agressions commises par un groupe de la population seraient encouragées ou tolérées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d’offrir une protection appropriée. Il faut en plus que le demandeur d’asile ait concrètement recherché cette protection, de sorte que ce n’est qu’en cas de défaut de protection, dont l’existence doit être mise suffisamment en évidence par le demandeur d’asile, qu’il y a lieu de prendre en compte une persécution commise par des tiers (cf. Jean-Yves Carlier : Qu’est-ce-qu’un réfugié ?, p. 113, nos 73-s).

En ce qui concerne la situation des membres des minorités au Kosovo, notamment de celle des « Bochniaques », à laquelle déclare appartenir Monsieur JAMINI ou de celle des « Gorani », à laquelle déclare appartenir Madame …, il est vrai que leur situation générale est difficile et ils sont particulièrement exposés à subir des insultes, voire d’autres discriminations ou agressions par des groupes de la population ; elle n’est cependant pas telle que tout membre des minorités ethniques visées serait de ce seul fait exposé à des persécutions au sens 4 de la Convention de Genève, étant entendu qu’une crainte de persécution afférente doit reposer nécessairement sur des éléments suffisants desquels il se dégage que, considéré individuellement et concrètement, le demandeur d’asile risque de subir des traitements discriminatoires.

En effet, une situation de conflit interne violent ou généralisé ne peut, à elle seule, justifier la reconnaissance de la qualité de réfugié, étant donné que la crainte de persécution, outre de devoir toujours être fondée sur l’un des motifs de l’article 1er A de la Convention de Genève, doit avoir un caractère personnalisé.

Quant à l’affiliation de Monsieur JAMINI au parti politique SPO, force est encore de constater que si des activités dans un parti d’opposition peuvent justifier des raisons de persécution au sens de la Convention de Genève, il n’en reste pas moins que la simple qualité de membre est à elle seule insuffisante à cet égard.

En l’espèce, les demandeurs ont déclaré lors de leurs auditions ne pas avoir subi de persécutions personnelles et Monsieur JAMINI avance comme seul élément en relation avec son affiliation politique qu’en raison de son appartenance au prédit parti politique, prenant position en faveur de la population serbe, il risquerait des persécutions de la part de la population albanaise du Kosovo et qu’il était « seulement sous pression mentale ». A défaut de tout autre fait personnel concret, cette allégation ne saurait, à elle seule, constituer un motif suffisant permettant de justifier une crainte de persécution.

Concernant, d’une manière générale, les craintes de persécution des demandeurs par des Albanais en raison de leur appartenance à des minorités ethniques et de l’appartenance de Monsieur JAMINI à un parti politique pro-serbe, il convient de constater que ces craintes constituent plutôt l’expression d’un sentiment général de peur sans qu’ils n’établissent concrètement en quoi, à l’heure actuelle, ils seraient encore exposés à un risque de persécution tel que leur vie serait, à raison, intolérable dans leur pays d’origine.

A cela s’ajoute que les craintes de persécutions invoquées en l’espèce se cristallisent autour de la seule situation au Kosovo, et que les demandeurs restent en défaut d’établir qu’ils ne peuvent trouver refuge à l’heure actuelle dans une autre partie de leur pays d’origine, étant entendu que la Convention de Genève vise le pays d’origine ou de nationalité sans restriction territoriale.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé aux demandeurs la reconnaissance du statut de réfugié politique, de sorte que le recours sous analyse doit être rejeté comme étant non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

5 au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais.

Ainsi jugé par :

M. Ravarani, président M. Schockweiler, vice-président Mme Lamesch, juge et lu à l’audience publique du 14 novembre 2001, par le président, en présence de M. Legille, greffier.

Legille Ravarani 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 13086
Date de la décision : 14/11/2001

Origine de la décision
Date de l'import : 12/12/2019
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2001-11-14;13086 ?

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